La loi de la honte qui défie les valeurs juives
La semaine dernière, la Knesset israélienne a adopté une nouvelle loi fondamentale qui, dans l’ensemble, énonce qu’« Israël est le territoire historique du peuple juif sur lequel l’État d’Israël a été créé » en précisant que « le droit d’exercer l’autodétermination nationale au sein de l’État d’Israël est réservé uniquement au peuple juif » et que « Jérusalem, complète et unie, est la capitale d’Israël ».
À première vue, il n’y a rien de bien nouveau dans cette loi. Israël applique ses dispositions depuis de nombreuses années. Ce texte trahit pourtant le document fondateur de l’État d’Israël, sa déclaration d’indépendance. Il paralysera sévèrement la démocratie israélienne. L’argument selon lequel cette nouvelle loi ne nuit nullement à la démocratie au sein de l’État hébreu et à l’égalité de tous ses citoyens, quelle que soit leur culture, leur race ou leur orientation religieuse, est faux, trompeur et, en définitive, stérile.
En plus de limiter encore davantage l’immigration en Israël aux Juifs seulement, la nouvelle loi relègue indirectement les Arabes israéliens au rang de citoyens de seconde zone et permet de pratiquer une discrimination à l’encontre des non-Juifs dans l’allocation de ressources pour le logement et les communautés ségréguées.
Cette législation servira d’instrument dans la poursuite du conflit avec les Palestiniens au sens large, en ralentissant davantage le processus de paix israélo-palestinien. Elle aura des effets néfastes sur les relations futures entre Israël et les démocraties occidentales.
En outre, ce texte législatif embrasse officiellement le sionisme révisionniste qui se concentre exclusivement sur le droit des Juifs à la terre de Palestine gouvernée par un État hébreu, et rejette le courant dominant des Juifs israéliens consternés par la scène d’oppression qui se joue dans les territoires palestiniens et par les violations flagrantes des droits de l’Homme.
Enfin, la loi qui vient d’être adoptée entraînera une augmentation alarmante de l’aliénation de la communauté juive mondiale (composée en grande partie de Juifs réformés) par rapport à Israël et pourrait bien déchirer le lien historique qui unit tous les Juifs, peu importe où ils résident. C’est un bien triste jour marqué par l’infamie pour Israël, qui restera gravé dans les mémoires.
Si cette loi vise à perpétuer l’identité nationale juive de l’État, elle contribuera à faire d’Israël un État paria, voire un État pratiquant l’apartheid, même si en elle-même elle ne sépare pas les normes juridiques s’appliquant aux Juifs et aux non-Juifs.
Les inquiétudes du gouvernement de Benyamin Nétanyahou concernant la croissance plus rapide de la population d’Arabes israéliens et l’appel en faveur d’une solution à un seul État qui gagne du terrain – en particulier car Israël ne veut pas renoncer à la Cisjordanie – ont précipité l’adoption d’une telle loi, aussi incongrue et contre-productive qu’elle puisse être.
Cela étant dit, Israël a tous les droits de vouloir maintenir l’identité nationale juive de l’État tel qu’il a été envisagé par ses fondateurs et reconnu comme tel par le plan de partage prévu par la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations Unies en 1947. Mais la seule façon dont le pays peut préserver son identité juive en toute légitimité est par le biais d’une majorité juive durable, et non par l’adoption de lois discriminatoires et de politiques racistes.
Pour conserver une telle majorité, Israël compte sur une augmentation du taux de natalité et de l’immigration des Juifs, surtout en provenance des États-Unis. L’inconvénient, c’est que le taux de natalité des Palestiniens est égal en Israël et plus élevé dans les territoires et qu’un nombre important d’Israéliens émigrent d’Israël (essentiellement en raison du conflit qui se poursuit avec les Palestiniens), compensant ainsi le nombre d’immigrants en Israël, d’autant plus que la réserve de nouveaux immigrants potentiels en provenance de l’Ouest est en train de s’épuiser.
La dernière catégorie est particulièrement préoccupante. Les jeunes Juifs américains sont déjà choqués par le traitement des Palestiniens en Israël ; cette loi les dégoûte encore plus, car elle est, selon eux, discriminatoire et raciste. De nombreux Juifs américains m’ont confié qu’ils envisageaient sérieusement d’immigrer en Israël, mais qu’ils avaient finalement décidé de ne pas s’y rendre, car ils ne sont plus séduits par l’idée de déménager dans ce pays qu’ils considéraient autrefois comme progressiste, innovateur et stimulant.
Ils déplorent l’occupation immorale des territoires palestiniens qui se poursuit encore et toujours et ne veulent pas être enrôlés au sein de l’armée dans l’unique but d’être entraînés à tuer et à faire respecter cette occupation brutale. « Je veux être un fier citoyen d’Israël », m’a dit un jeune diplômé, « désireux et capable de défendre mon pays lorsque celui-ci est légitimement menacé, mais je ne veux ni faire la guerre aux Palestiniens ni réprimer des affrontements violents contre eux, puisqu’en fin de compte, cela n’apporte rien, sinon la mort et la souffrance ».
L’immigration en Israël est essentielle pour conserver la majorité juive et ainsi l’identité de l’État. S’il souhaite encourager les Juifs à affluer sur les rivages de son pays, le gouvernement israélien doit parvenir à un accord avec les Palestiniens et mettre un terme à l’occupation. Aucune loi ni aucun programme n’incitera les jeunes Juifs à immigrer en Israël et les Israéliens qui ont quitté le pays à y revenir, si ce n’est la fin de cette effusion de sang et la normalisation des relations avec le peuple palestinien.
En plus de discriminer les non-Juifs, cette nouvelle loi creusera le fossé entre les Juifs libéralement éclairés qui croient en l’égalité et aux droits de l’Homme pour tous les citoyens de l’État et ceux qui veulent préserver l’exclusivité juive du pays. Ils ignorent que cette division se fera au prix de la destruction du lien qui existe entre les Juifs, entre les Israéliens ainsi qu’entre les Israéliens et leurs compatriotes de la diaspora juive.
On pourrait croire que l’histoire torturée des Juifs qui a conduit à l’Holocauste aurait inculqué à tous les Israéliens l’importance de traiter les autres humainement. Il semblerait au contraire que ceux qui approuvent cette loi méprisable, Nétanyahou et compagnie, se contrefichent des droits de ceux qui n’appartiennent pas à leur espèce et dissimulent leur mépris en invoquant faussement la sécurité nationale.
Nétanyahou, Lieberman, Bennet, Shaked et bien d’autres devraient se poser une simple question : quelle sorte de nation Israël devrait-il être dans 10, 15 ou 20 ans ? Souhaitent-ils mettre à profit les réalisations remarquables de l’État hébreu dans le domaine de la science, des technologies, de la médecine et dans à peu près tous les domaines de l’activité humaine, et faire d’Israël une puissance formidable et remarquable soutenue par ses amis et enviée de ses ennemis ?
Ou préfèrent-ils un État entaché par une occupation impitoyable, détesté et confronté à une résistance violente de la part de ses ennemis, mal vu de ses amis et méprisé par les Juifs du monde entier, qui ne le considèrent plus comme représentatif de leurs valeurs ? Un pays ayant perdu son esprit de pionnier, dont les citoyens sont démoralisés, et qui se trouve de plus en plus isolé, entouré de murs et de clôtures, constamment menacé, sans un seul jour de répit, forcé de vivre l’arme au poing ?
Cette nouvelle loi déplorable confisque les Juifs de leur rêve de vivre dans un véritable État démocratique dont ils pourraient être fiers ; un État juste et bienveillant, en paix avec lui-même et avec ses voisins, un État que le monde admirerait pour ses magnifiques réalisations et sa contribution à l’amélioration de l’humanité.
Ce n’est pas une chimère ; Israël aurait pu devenir un tel État. Il avait toutes les ressources humaines et matérielles ainsi que le pouvoir nécessaire pour parcourir le chemin de la paix en toute confiance, n’eussent été ses dirigeants corrompus ayant perdu depuis longtemps la vision des fondateurs d’Israël, qui rêvaient avec fierté d’une telle patrie.