L’autodétermination : un droit inaliénable
Le référendum des Kurdes irakiens qui s’est déroulé il y a plusieurs semaines a remporté une majorité écrasante en faveur de l’indépendance, mais les résultats de cette consultation populaire ont été rejetés par une grande partie de la communauté internationale, en particulier les États-Unis et le gouvernement irakien. L’autodétermination est pourtant inévitable, puisqu’elle est au cœur même des droits de l’Homme. Aucune puissance ne peut empêcher indéfiniment un groupe ou une communauté de réaliser ses ambitions nationales, peu importe la difficulté et le temps que cela prendra.
La volonté des Kurdes, et de nombreux autres groupes ethniques et culturels, d’obtenir l’indépendance politique doit être considérée à l’aune de leurs aspirations, vieilles de plusieurs décennies, à l’autodétermination ainsi qu’en fonction des frontières arbitraires tracées majoritairement par les puissances victorieuses au lendemain de la Seconde Guerre mondiale sans tenir compte de l’appartenance ethnique, de l’histoire, de la culture et des obédiences religieuses de ces groupes.
Bien qu’elle ait rapproché les nations les unes des autres, la mondialisation a également suscité le besoin de préserver le caractère historique et culturel unique de nombreuses nationalités ethniques, qui craignent de perdre l’identité nationale qu’elles chérissent tant et qui les distingue d’autres sectes et d’autres ethnies.
La communauté internationale, emmenée par de grandes puissances comme les États-Unis et l’Union européenne, n’a pas encore accepté l’inexorabilité : ces groupes ethniques continueront de se battre pour leur droit à l’indépendance. Leur refuser ce droit ne peut que dégénérer en conflits violents et en instabilité régionale.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la création d’États-nations a presque quadruplé. Lors de la fondation des Nations Unies en 1945, seuls 51 pays indépendants en sont devenus membres. L’ONU en compte désormais 193. En outre, trois autres États-nations ont des désignations différentes au sein de cette organisation : le Saint-Siège et la Palestine disposent d’un statut d’observateur permanent auprès de l’ONU, et bien que les Nations Unies ne reconnaissent pas le Kosovo, il est reconnu par plus de 100 États membres.
Depuis 1990, trente-quatre nouveaux pays ont été créés (14 ont vu le jour après la dissolution de l’URSS en 1991). Je me risque à affirmer qu’au vu du nombre croissant de groupes ethniques qui ont juré d’atteindre l’autodétermination, 10 à 15 nouveaux pays supplémentaires déclareront leur indépendance d’ici à 2030.
L’autodétermination devient une quête nationale sans cesse plus forte. Elle répond au besoin de liberté de ces groupes ethniques, de plus en plus nombreux, qui se retrouvent sans espoir d’un avenir meilleur et à qui l’on refuse le droit de vivre leur vie comme ils l’entendent. Ainsi que feu le président Ronald Reagan l’a dit, « La liberté est l’une des aspirations les plus profondes et les plus nobles de l’esprit humain. Les peuples du monde entier ont soif du droit à l’autodétermination, car ce sont ces droits inaliénables qui font la dignité humaine et le progrès. »
Bon nombre de groupes en quête d’autodétermination ont été plus loin que les Kurdes irakiens. C’est notamment le cas de la Catalogne qui a déclaré son indépendance et de bien d’autres communautés qui se trouvent à différentes étapes de leur marche vers l’indépendance.
Les Catalans se battent pour l’indépendance vis-à-vis de l’Espagne depuis le milieu du XVIIe siècle, motivés par leur culture et leur histoire. La vague séparatiste contemporaine du peuple catalan s’est intensifiée depuis la mort du dictateur Fancisco Franco et l’adoption d’une nouvelle constitution espagnole en 1978 qui reconnait le droit à l’autonomie.
Les Palestiniens réclament quant à eux leur indépendance depuis plus de quatre-vingt-dix-sept ans. Ils n’auront de répit que lorsqu’ils auront réalisé leurs aspirations nationales. Dans ce cas précis, la communauté internationale soutient pleinement la quête des Palestiniens et continuera certainement de pousser en ce sens, malgré les vives objections d’Israël.
Le Kosovo était le centre de l’Empire serbe médiéval. Du milieu du XVe siècle au début du XXe siècle, il était sous le règne de l’Empire ottoman. Il a ensuite été annexé à la Serbie et c’est alors que des tensions ethniques ont surgi entre les Albanais de souche à prédominance musulmane et les Serbes de l’Est en grande partie orthodoxes au Kosovo. Cette situation a entraîné une guerre en 1998-1999 entre le Kosovo et la République de Serbie qui a fait 11 000 morts parmi la population albanaise et 1,5 million de réfugiés.
Il existe de nombreux autres groupes ethniques qui font partie intégrante de leur pays de résidence depuis des siècles et qui se réveillent aujourd’hui pour exercer leur droit à l’indépendance.
L’Écosse a rejoint le Royaume-Uni en 1707 sous prétexte de prospérité économique. Petites et grandes rébellions ont ponctué la période à partir de cette union, mais elles n’ont pas reçu beaucoup d’attrait avant le début du mouvement législatif en faveur de l’autonomie dans les années 1880. Au fil des ans, ce mouvement s’est manifesté en faveur de l’indépendance, ce qui a permis d’organiser un référendum pour l’indépendance en 2014. Celui-ci s’est toutefois soldé par un échec. Un autre vote devrait avoir lieu une fois que les modalités du Brexit seront officialisées, ce qui prouve une nouvelle fois qu’après 300 ans, les aspirations nationales des Écossais sont encore bien vivaces.
L’indépendance du Québec par rapport au Canada fait l’objet de sérieux débats depuis la fin des années 1960 à cause des différences linguistiques et culturelles. Deux référendums ont été organisés en 1980 et en 1995, et la loi sur la clarté (qui prévoit les modalités en cas de vote d’une province du Canada en faveur de la sécession) a été adoptée en 2000. Bien que le mouvement souverainiste se soit récemment fragmenté, la volonté indépendantiste du peuple québécois continue de résonner.
D’autres communautés aspirent à l’indépendance, notamment le Tibet, Taïwan, Hong Kong, la Bavière, Venise, la Flandre, le Pays basque, la Transnistrie et les musulmans malais du sud de la Thaïlande, parmi tant d’autres. Une chose est sure, le mouvement pour l’indépendance ne s’arrêtera pas avec les Kurdes irakiens ou la Catalogne. Bientôt, l’aspiration des sunnites irakiens à l’autonomie prendra de l’ampleur, avec les Kurdes syriens et, éventuellement, la secte alaouite du président Assad, car la division de la Syrie selon des lignes sectaires semble presque inévitable.
Presque aucun État créé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale n’a été établi volontairement par les puissances coloniales qui les gouvernaient. Tous ont dû se battre pendant plusieurs décennies, s’en remettant souvent à la violence et à la guerre pour obtenir enfin leur indépendance politique.
La philosophe Judith Butler a bien résumé les choses en déclarant : « La souveraineté populaire doit être donnée par un peuple à lui-même [sans italique dans le texte original]. Il s’agit là d’une signification importante de l’autodétermination. »
En effet, de quel droit les États-Unis ou l’Union européenne dictent leur destinée aux Kurdes irakiens et les empêchent d’établir leur propre État, soi-disant pour protéger l’unité de l’Irak et prévenir tout conflit violent, alors que c’est le contraire qui se produira. On peut en dire autant de la Catalogne et de bien d’autres groupes séparatistes. Le moment est venu pour les anciennes puissances coloniales de rectifier leurs erreurs du passé et d’encourager, plutôt que de briser, la volonté de nombreux groupes de faire valoir leur droit naturel.
L’hypocrisie de ces puissances, en particulier des États-Unis et de l’Union européenne – qui défendent les droits de l’Homme, la liberté et la démocratie –, se manifeste aujourd’hui dans toute sa splendeur : ils ont rejeté en premier les résultats du référendum kurde et ils refusent de reconnaître la déclaration d’indépendance de la Catalogne.
Il est temps que les membres de la communauté internationale, menés par les grandes puissances, se rendent compte qu’ils ne peuvent pas bloquer le puissant mouvement de ces groupes ethniques en quête d’indépendance, uniquement parce que cela ne fait pas partie de leur plan dans une région donnée.
L’autodétermination n’est pas un cadeau que l’on peut recevoir par les grâces d’une autorité dirigeante ; c’est un droit inhérent que chaque groupe culturel, religieux et ethnique a le droit d’exercer.