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octobre 29, 2020

L’autoritarisme calamiteux d’Erdogan

Le président turc Recep Tayyip Erdogan est de plus en plus dangereux ; il continue de ravager son propre pays et de déstabiliser de nombreux États au Moyen-Orient, dans les Balkans et en Afrique du Nord, tout en faisant les yeux doux aux principaux rivaux de l’Occident. Hélas, la plupart des États membres de l’UE ne semblent guère disposés à défier Erdogan et à lui faire savoir qu’il ne peut plus poursuivre, en toute impunité, l’autoritarisme dont il fait preuve dans son pays et son ingérence audacieuse à l’étranger.

Pour comprendre la gravité des actions et des ambitions d’Erdogan ainsi que leurs conséquences désastreuses, il suffit de citer Ahmet Davutoğlu, qui était l’un de ses plus proches collaborateurs et qui a occupé la fonction de ministre des Affaires étrangères et celle de Premier ministre. Après sa démission forcée en mai 2016, Ahmet Davutoğlu a tenu ces propos : « Je resterai fidèle à notre Président jusqu’à mon dernier souffle. Personne ne m’a jamais entendu – et ne m’entendra jamais – prononcer un seul mot contre notre Président ».

Pourtant, le 12 octobre, Ahmet Davutoğlu a déclaré : « Erdogan a abandonné ses amis qui ont lutté et qui se sont battus à ses côtés en échange des symboles de l’ancienne Turquie, et il essaie maintenant de nous retenir […] Vous êtes vous-même [Erdogan] une calamité. La pire calamité qui s’est abattue sur ce peuple est ce régime qui a transformé notre pays en une entreprise familiale désastreuse. »

La divergence stupéfiante de ces propos avec sa première déclaration montre à quel point les conditions sont devenues désespérées et se font l’écho du chemin parcouru par Erdogan et de sa dangerosité. Recep Tayyip Erdogan fait peser une grande calamité sur son propre peuple et son ambition aveugle à l’étranger déstabilise de nombreux pays tout en portant dangereusement atteinte à la sécurité nationale et aux intérêts stratégiques de la Turquie et de ses alliés occidentaux.

Un bref rappel de ses pratiques criminelles dans son propre pays et de ses mésaventures à l’étranger permet de rendre compte de la situation.

Au niveau national, Erdogan a incarcéré des dizaines de milliers de citoyens innocents, victimes d’accusations bidon, et notamment des centaines de journalistes. Il fait également pression sur les tribunaux pour envoyer en prison quiconque ose l’insulter, car personne ne peut même s’exprimer au sujet de son caractère impitoyable. Au niveau international, Erdogan a ordonné aux agents de renseignements turcs de tuer ou de faire rentrer clandestinement dans le pays les citoyens turcs affiliés au mouvement Gülen.

Il réprime régulièrement les membres de la minorité kurde de Turquie, en les empêchant de vivre une vie normale en accord avec leur culture, leur langue et leurs traditions, alors même qu’ils ont toujours été de loyaux citoyens turcs. Il n’y a pas de solution à ce conflit, si ce n’est une solution politique, comme l’ancien ministre des Affaires étrangères Ali Babacan l’a fermement déclaré le 20 octobre : « […] la solution [au problème kurde] sera politique et nous défendrons la démocratie sans relâche ».

Erdogan refuse d’accepter la convention sur le droit de la mer qui donne aux différents pays, et notamment à Chypre, le droit de prétendre à une zone économique exclusive (ZEE) à des fins d’exploration visant la découverte de nouvelles ressources énergétiques, et menace de recourir à la force contre la Grèce, qui n’est rien de moins qu’un autre membre de l’OTAN. Il a ouvertement envoyé un navire de recherche dans cette région du monde pour découvrir des gisements de gaz et de pétrole, ce que le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères Josep Borrell a qualifié d’« extrêmement préoccupant ».

Erdogan a envahi la Syrie avec la bénédiction de Donald Trump, afin d’empêcher les Kurdes syriens de créer un régime autonome, sous prétexte de la lutte contre le PKK et l’YPG (la milice kurde syrienne qui s’est battue aux côtés des États-Unis et que le président turc accuse à tort d’être un groupe terroriste).

Il envoie des armes aux sunnites présents dans le nord du Liban et crée par la même occasion une filiale de l’Agence turque de coopération et de développement (TİKA) dans ce pays – il s’agit d’une pratique qu’Erdogan utilise souvent pour s’implanter davantage au sein des pays dans lesquels il a des intérêts.

L’économie turque est en lambeaux, mais cela ne l’empêche nullement d’investir des centaines de millions de dollars dans les Balkans, inondant les pays de cette région d’imams turcs afin de répandre son évangile islamique et de les attirer sur son orbite néo-ottomane. Déplorant le leadership économique d’Erdogan, Ali Babacan a bien résumé la situation en déclarant ce mois-ci qu’« il était impossible que le système économique ou financier turc se poursuive, ou que la légitimité politique se maintienne ».

Erdogan est corrompu jusqu’à la moelle. Il a, comme par hasard, nommé son gendre ministre des Finances, ce qui lui permet d’accumuler des dizaines de millions de dollars, ainsi qu’Ahmet Davutoğlu l’a malicieusement fait remarquer : « La seule accusation portée contre moi […] est la cession d’un terrain à un établissement d’enseignement sur lequel je n’ai aucun droit personnel et que je ne peux pas laisser à ma fille, à mon fils, à mon gendre ou à ma belle-fille ».

Erdogan soutient l’Azerbaïdjan dans son conflit avec l’Arménie (qui bénéficie du soutien de l’Iran) au sujet de l’enclave sécessionniste du Nagorny Karabakh, une région peuplée d’Arméniens de souche et qui fait l’objet d’un différend depuis plus de 30 ans.

Il exploite les troubles civils en Libye en fournissant au gouvernement d’union nationale des drones et des équipements militaires pour aider Tripoli à prendre le dessus dans sa lutte contre les forces du maréchal Khalifa Haftar. L’ancien ministre des Affaires étrangères Yasar Yakis a déclaré en février 2020 que « la politique étrangère nébuleuse d’Erdogan pourrait mettre la Turquie en grave danger à cause de cette expansion vers la Libye ».

Erdogan se mêle du conflit israélo-palestinien dans le but d’empêcher les deux camps de régler leur différend à moins qu’Israël ne réponde aux exigences des Palestiniens. Il a ainsi accordé la nationalité turque à plusieurs responsables du Hamas pour contrarier Israël, alors que le Hamas appelle ouvertement à la destruction de l’État hébreu.

Il a trahi l’OTAN en achetant le système russe de défense aérienne S-400, compromettant ainsi sérieusement les renseignements et les technologies de l’alliance.

Le président turc déstabilise de nombreux pays, dont la Somalie, le Qatar, la Libye et la Syrie, en y envoyant des forces militaires et du matériel et en violant l’espace aérien d’autres pays tels que l’Iraq, Chypre et la Grèce. Selon Yasar Yakis, la Turquie s’engage dans un « pari très audacieux où les risques d’échec sont énormes ».

Erdogan soutient également des groupes islamistes comme les Frères musulmans et le Hamas, ainsi que de nombreux mouvements djihadistes, tels que l’État islamique, sachant pertinemment que ces groupes sont les ennemis jurés de l’Occident – il se sert pourtant d’eux pour mettre en avant ses dessins islamiques diaboliques.

Le président turc fait régulièrement chanter les États membres de l’UE, en menaçant d’inonder l’Europe de réfugiés syriens à moins qu’ils ne soutiennent ses escapades à l’étranger, comme son invasion de la Syrie, et qu’ils lui fournissent une aide financière de plusieurs milliards pour faire face à l’afflux de réfugiés syriens.

Combien de preuves faut-il encore à l’UE pour qu’elle se décide à agir ? Si l’on examine de plus près le comportement d’Erdogan, on comprend clairement son ambition ultime qui est de rétablir, autant que possible, l’influence de l’Empire ottoman sur les pays qui étaient autrefois sous son contrôle.

Erdogan est un homme dangereux. Il a d’ailleurs cité Hitler pour donner un exemple de régime présidentiel exécutif efficace, et il pourrait bien chercher à acquérir des armes nucléaires. Il est temps que l’UE se réveille et qu’elle prenne au sérieux le programme à long terme d’Erdogan. Il faut qu’elle adopte des mesures punitives draconiennes pour mettre un terme à son comportement potentiellement calamiteux. Hélas, l’UE est persuadée que la Turquie revêt une importance capitale d’un point de vue géostratégique, une conviction qu’Erdogan exploite magistralement.

L’UE doit être prête à prendre position contre Erdogan, avec ou sans le soutien des États Unis. Espérons toutefois que Joe Biden sera le prochain président des États-Unis et que, avec l’UE, il avertira Erdogan que ses jours d’autoritarisme et d’aventurisme à l’étranger sont terminés.

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