Les conséquences désastreuses d’une annexion territoriale
La formation d’un gouvernement de coalition dirigé par Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud, et Benny Gantz, dirigeant du parti Kahol Lavan (« Bleu-Blanc »), va enfin mettre un terme à la paralysie politique qui afflige Israël depuis près de 18 mois ainsi qu’à la rivalité personnelle qui opposait les deux hommes depuis trois élections. Tous deux se sont enfin entendus sur une série de questions majeures en matière de sécurité et sur le plan socio-économique. L’enjeu le plus inquiétant sur lequel ils se sont résolument mis d’accord concerne toutefois l’annexion d’une grande partie des territoires palestiniens sur la base du plan proposé par Donald Trump, que celui ci a baptisé « De la paix à la prospérité ». Si Israël décide de le mettre à exécution, ce plan aura des conséquences néfastes et changera radicalement sa nature d’État juif démocratique.
Pendant plus de dix ans, Benyamin Nétanyahou a fait un usage magistral de tactiques alarmistes afin de présenter la création d’un État palestinien comme une menace existentielle pour Israël et a juré de ne jamais permettre que cela se produise tant qu’il serait au pouvoir. En réalité, l’annexion de vastes étendues de territoire palestinien empêchera les Palestiniens d’avoir leur propre État. L’alliance de Gantz avec Nétanyahou est profondément décevante et alarmante. En tant qu’ancien chef d’état-major, Benny Gantz sait que la sécurité nationale israélienne ne repose pas sur la force de l’armée, comme le temps l’a montré, mais sur la fin du conflit avec les Palestiniens grâce à la formation d’un État palestinien stable et indépendant qui apporte sa pleine collaboration sur toutes les questions de sécurité concernant les deux pays.
Hélas, les Palestiniens, et en particulier le Hamas, ont directement fait le jeu de Nétanyahou en refusant de reconnaître à Israël le droit d’exister et en provoquant les Israéliens de manière violente à plusieurs reprises. Ils ont ainsi donné au Premier ministre israélien les munitions dont il avait besoin pour justifier ses propos, selon lesquels les Palestiniens cherchent à détruire Israël et non à coexister pacifiquement. En outre, les Palestiniens ont raté plusieurs occasions de conclure un accord de paix avec Israël et continuent d’inculquer, génération après génération, un sentiment anti-israélien, ce qui permet à Nétanyahou d’établir plus facilement le bien-fondé de sa cause.
Maintenant que Benyamin Nétanyahou a éliminé toute contestation sérieuse de la part de l’opposition, sans tenir compte de la véhémence des Palestiniens contre l’annexion, il engage Israël sur la voie d’une confrontation violente qui sera peut-être sans précédent. En effet, si l’annexion se réalise, il sera impossible de faire marche arrière. Israël étendra les colonies existantes et en construira de nouvelles, et il violera inévitablement les droits de propriété des Palestiniens en démolissant des maisons et en procédant à des expulsions tout en contrôlant les ressources naturelles de ces territoires au mépris du droit international.
Devant ces violations flagrantes des droits de l’Homme, les Palestiniens n’auront pas grand-chose à perdre. Peu importe la puissance militaire écrasante de l’État israélien, dans un moment de désespoir total, les Palestiniens se soulèveront et s’uniront. Ils seront prêts à mourir d’une mort honorable plutôt que de vivre en servitude et d’abonner leur grand rêve d’indépendance.
Selon moi et pour une multitude d’anciens Israéliens issus du monde militaire et du milieu du renseignement, la perspective d’un soulèvement palestinien est une certitude. Si Benyamin Nétanyahou et Benny Gantz choisissent de l’ignorer, ce sera à leurs risques et périls, car ils sèment les graines de la révolte palestinienne ; reste à savoir quand elle éclatera.
En revanche, Benyamin Nétanyahou compte sur Donald Trump pour lui fournir un soutien politique et faire pression sur plusieurs pays arabes essentiels afin de persuader les Palestiniens de suivre les plans prévus. Après tout, le plan du président américain prévoit la création d’un État palestinien dans les quatre ans. Toutefois, si l’on examine de plus près l’accord proposé par Donald Trump ainsi que l’étendue de l’annexion des territoires qu’il propose, il apparaît clairement que la perspective de création d’un État palestinien n’est rien d’autre qu’une blague.
Une partie de l’accord conclu entre Benyamin Nétanyahou et Benny Gantz comprend deux articles qui indiquent clairement leur intention à tous les deux d’annexer certaines parties de la Cisjordanie, en accord avec le plan « De la paix à la prospérité » de Donald Trump :
28. Le Premier ministre et le Vice-Premier ministre agiront de concert et en coordination en vue de faire progresser les accords de paix avec nos voisins et de favoriser la coopération régionale dans une série de sphères économiques […].
Pour tout ce qui concerne la déclaration du président Donald Trump, le Premier ministre et le Vice-Premier ministre agiront en accord total avec les États-Unis, s’agissant notamment de la question des cartes vis-à-vis des Américains et de l’ouverture d’un dialogue international sur la question, en s’efforçant également de préserver les intérêts de l’État d’Israël en matière de sécurité et de stratégie, y compris la nécessité de préserver la stabilité régionale, de respecter les accords de paix et d’en conclure de nouveaux.
29. En dépit de ce qui est écrit […] à l’article 28 ci-dessus, et après discussion et consultation entre le Premier ministre et le Vice-Premier ministre sur les principes exposés ci-dessus, à compter du 1er juillet 2020, le Premier ministre sera en mesure de soumettre l’accord conclu avec les États-Unis au sujet de l’extension de la souveraineté à la discussion du cabinet et du gouvernement ainsi qu’à l’approbation du gouvernement et/ou de la Knesset [caractères gras ajoutés].
Le problème est que ni Benyamin Nétanyahou ni Benny Gantz ne comprennent le véritable dessein de Donald Trump, ou bien ils ont décidé de l’ignorer, car il ne les intéresse pas vraiment. En effet, l’important est que Donald Trump concrétise la vision à long terme de Nétanyahou, que Gantz semble partager, à savoir l’établissement de la souveraineté israélienne et le contrôle de l’ensemble du territoire biblique des juifs, de la mer Méditerranée au Jourdain. Ils veulent croire que la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël et le déménagement de l’ambassade américaine dans la ville sainte témoignent de son engagement en faveur de la cause nationale israélienne, et voient son « plan de paix » comme une réaffirmation de sa position véritable.
En réalité, Trump se moque éperdument de la sécurité et du bien-être des Israéliens – il souhaite seulement s’assurer le soutien politique de l’importante communauté évangélique, qui est persuadée qu’Israël est la clé du retour du Messie. Nétanyahou devrait recevoir le feu vert de Trump début juillet afin de mettre en œuvre ses plans d’annexion, donnant ainsi à Trump le coup de pouce politique dont il aura besoin lorsque la campagne pour les élections présidentielles passera à la vitesse supérieure. En outre, compte tenu de la propagation mortelle du coronavirus et du nombre croissant de décès, et au vu de la grave récession économique et de la perte de plus de 30 millions d’emplois, Trump a plus que jamais besoin du soutien des évangéliques.
Cette tournure donne aux Palestiniens, en particulier au Hamas, la possibilité de court-circuiter le projet de Nétanyahou et de Gantz en se déclarant prêts à entamer de façon inconditionnelle des négociations de bonne foi qui contribueraient à la paix et à la sécurité sur la base d’une solution à deux États, comme le prévoient un certain nombre d’accords de paix antérieurs convenus par les deux parties. Les Palestiniens ne peuvent pas se permettre de rater cette occasion, car une fois que le plan de Donald Trump sera mis en œuvre, leurs perspectives de former un jour un État palestinien s’amenuiseront, ou disparaîtront complètement, la violence deviendra la norme et les deux camps en souffriront grandement.
Les conséquences ne seront pas moins terribles pour Israël si Nétanyahou et Gantz mettent ces plans d’annexion à exécution. Un certain nombre d’événements se produiront certainement : la violence entre Israéliens et Palestiniens ne fera que s’accentuer ; la Jordanie et l’Égypte pourraient bien rompre leurs relations diplomatiques, voire annuler leurs traités de paix avec Israël ; les États du Golfe qui coopèrent tacitement avec Israël tant sur le front de la sécurité que sur celui du renseignement mettront fin à leur coopération ; l’Union européenne condamnera l’ambition aveugle d’Israël avec la plus grande fermeté ; des dizaines de pays reconnaîtront l’État palestinien ; le mouvement « Boycott, désinvestissement et sanctions » (BDS) s’intensifiera nettement ; l’antisémitisme atteindra des niveaux sans précédent ; Israël deviendra un État paria ; et la paix ne sera plus au rendez-vous pour les Israéliens pendant un certain temps.
Quiconque se soucie de la démocratie d’Israël, de l’avenir de sa sécurité nationale et de son bien-être devrait se manifester. Trump quittera tôt ou tard la scène politique et les dégâts qu’il laissera dans son sillage, avec l’aide de Nétanyahou et de Gantz, porteront préjudice à l’État hébreu. Israël abandonnera la vision de ses fondateurs, qui était de créer un État juif, démocratique et indépendant, et perdra sa raison d’être.