L’urgence inéluctable d’une alliance israélo-arabe
L’accord de paix conclu entre Israël et les Émirats arabes unis jette les bases d’une future alliance israélo-arabe, une alliance qui se forme discrètement et officieusement depuis plusieurs années. Je suis convaincu que cette alliance verra le jour en relativement peu de temps et qu’elle intégrera, à terme, neuf États arabes : les Émirats arabes unis, Bahreïn, Oman, l’Arabie saoudite, la Jordanie, l’Égypte et, ultérieurement, le Koweït, le Qatar et les Palestiniens. Elle découpera ainsi un territoire en forme de croissant qui s’étendra du Golfe à la Méditerranée. Cette nouvelle union, qui comptera aussi probablement le Soudan, le Maroc et d’autres États arabes, modifiera de manière décisive la dynamique géostratégique du Moyen-Orient.
Il y a longtemps que les États arabes ont écarté toute confrontation militaire avec Israël, car l’État israélien est redoutable sur le plan militaire et parce qu’il constitue une réalité inébranlable avec laquelle ils n’ont aucun conflit direct. Bien au contraire, ils voient Israël comme une puissance nucléaire régionale capable d’affronter l’Iran, leur ennemi commun, et de servir ainsi leurs intérêts mutuels en matière de sécurité nationale. En outre, les États arabes et Israël se méfient désormais du président turc Recep Tayyip Erdogan qui s’immisce dans les affaires des pays de la région afin de mettre en avant son projet néo-ottoman.
Enfin, les États arabes sont parvenus à la conclusion qu’ils ne pouvaient plus sacrifier leurs intérêts nationaux sur l’autel de l’intransigeance palestinienne pour parvenir à un accord de paix avec Israël. Les États arabes en sont même venus à apprécier les avancées extraordinaires des Israéliens dans à peu près tous les domaines scientifiques ainsi que les avantages qu’ils en ont déjà tirés au cours de la dernière décennie, ce qui a aussi joué un rôle important dans le processus transformationnel qui fera naître cette alliance.
Les conséquences d’une alliance sur la future conception régionale de l’Iran
Selon moi, les menaces que l’Iran profère depuis dix ans à l’encontre d’Israël et des pays du Golfe ont constitué l’élément moteur de l’accord conclu entre Israël et les Émirats arabes unis qui conduira probablement à la création d’une alliance dans un avenir proche. Les conséquences d’une telle union pour l’Iran seraient monumentales. Depuis de nombreuses années, l’Iran s’efforce de consolider son propre « croissant » du Golfe à la Méditerranée, en passant par l’Iraq, la Syrie et le Liban.
L’Iran devra bientôt faire face à un croissant parallèle impénétrable, celui d’une alliance israélo-arabe dotée d’une formidable puissance militaire, et notamment d’armes nucléaires aux mains des Israéliens. Contrairement à cette alliance naissante, dans laquelle chaque pays aura un rôle important à jouer et que chacun d’eux sera déterminé à préserver et à renforcer, la présence de l’Iran en Iraq, en Syrie et au Liban est pour le moins fragile. Un mouvement prend chaque jour de l’ampleur pour évincer l’Iran de l’Iraq et le gouvernement irakien n’a pas l’air enclin à le réprimer.
En Syrie, l’Iran fait constamment l’objet d’attaques israéliennes tandis que la Russie cherche à tout prix à empêcher Téhéran de s’ancrer profondément dans ce pays. Le Liban est quant à lui en plein bouleversement ; malgré l’influence politique immense qu’il exerce dans ce pays, le Hezbollah ne veut pas affronter Israël sur le plan militaire et reste à la merci de l’Iran, dont l’économie se trouve mise à mal et la chaîne d’approvisionnement de matériel militaire est régulièrement attaquée par Israël.
Cela étant, le gouvernement libanais n’a rien contre Israël et, étant donné l’émergence probable d’une alliance israélo-arabe, le Liban et, en particulier, le Hezbollah devront ajuster leur position politique à cette nouvelle réalité qui se fera certainement jour.
L’Iran comprend les enjeux de l’accord de paix conclu entre Israël et les Émirats arabes unis, mais tout ce que Rohani trouve à dire, c’est que « [les Émirats arabes unis] ont intérêt à être attentifs. Ils ont commis une énorme erreur, un acte de trahison. Nous espérons qu’ils s’en rendront compte et abandonneront cette mauvaise voix. »
L’Iran aura deux options : a) continuer d’appliquer des politiques agressives en apportant son soutien à des groupes radicaux extrémistes et renouveler ses tentatives de subversion des États du Golfe tout en poursuivant le développement d’armes nucléaires et en subissant des sanctions continues ainsi qu’un assaut militaire et cybernétique israélien ; ou b) accepter la nouvelle réalité qui se fait jour, réfréner ses ambitions nucléaires et consentir à entamer de nouvelles négociations avec les États-Unis, sauver son économie et éviter un changement de régime, un aspect qui figure au cœur de ses préoccupations.
L’Iran testera certainement d’abord le terrain avant de changer de position afin de déterminer l’étendue de l’alliance émergente et la rapidité avec laquelle celle-ci va s’épanouir, quelles seront ses composantes militaires, et dans quelle mesure les États-Unis y seront impliqués. Téhéran pourrait bien faire preuve de plus de retenue dans les mois à venir et choisira certainement la deuxième option pour sauver son économie d’un effondrement total et préserver son régime, d’autant plus que lorsqu’elle sera en place, cette alliance freinera sérieusement les ambitions hégémoniques de l’Iran et le contraindra à abandonner sa stratégie de confrontation.
Une alliance qui change la donne pour les Palestiniens
L’émergence d’une nouvelle alliance aura une incidence considérable sur les Palestiniens. Depuis la signature du traité de paix israélo-égyptien en 1979, en passant par les accords d’Oslo de 1993 et le traité de paix israélo-jordanien de 1995, sans oublier l’introduction de l’initiative de paix arabe en 2002, les Palestiniens ont raté toutes les occasions de parvenir à un accord de paix avec Israël sur la base d’une solution à deux États. Le soutien que les États arabes apportaient aux Palestiniens depuis plusieurs décennies s’est érodé progressivement, à mesure qu’ils se sont rendu compte qu’ils étaient devenus les otages de la récalcitrante des Palestiniens et qu’ils ne voulaient plus sacrifier leurs intérêts nationaux en soutenant une cause « perdue ».
Même si les Palestiniens ont vivement critiqué l’accord de paix conclu entre les Émirats arabes unis et Israël – le conseiller du président palestinien Nabil Abu Rudeineh a ainsi déclaré que « les dirigeants palestiniens rejetaient et dénonçaient l’annonce tripartite surprenante entre les Émirats arabes unis, Israël et les États-Unis » et que cet accord était une « trahison de Jérusalem, d’Al-Aqsa et de la cause palestinienne » – ils se rendent à l’évidence. Plus ils attendent avant de reprendre les négociations de paix avec Israël, moins ils recevront de soutien et d’appui de la part des États arabes et plus leur position s’affaiblira, d’autant plus que la poursuite de l’annexion des terres palestiniennes n’a pas été définitivement retirée de l’ordre du jour, du point de vue de la puissante circonscription d’extrême droite israélienne.
Le président palestinien Mahmoud Abbas sera désormais soumis à une pression croissante de l’Union européenne et des États arabes qui lui demanderont de ne pas passer à côté d’une nouvelle occasion déterminante de négocier avec les Israéliens. Il doit saisir cette chance de rouvrir les négociations avec les Israéliens tant que ceux-ci ont interrompu leur annexion dans le cadre de l’accord qu’ils ont conclu avec les Émirats arabes unis, surtout lorsque l’on sait que Bahreïn et le Soudan sont en train de négocier un accord similaire avec Israël, lequel doit également geler toute nouvelle annexion. Il s’agit vraiment du moment idéal pour Abbas. S’il n’agit pas dans cette direction, il risque de perdre du terrain et de faire échouer, peut-être définitivement, la perspective de créer un jour un État palestinien.
Le Hamas aussi devra revoir sa position, car la perte significative et croissante du soutien que les États arabes lui apportaient sera de plus en plus marquée avec le temps. Plus vite il entamera de nouvelles négociations de paix, assorties d’un Hudna (cessez-le-feu) à long terme comme interlude pour parvenir à un accord de paix permanent, séparément ou avec l’Autorité palestinienne, mieux ce sera. Il faudra également que le Hamas se rende compte qu’il ne pourra plus compter sur l’Iran ou la Turquie pour le soutenir financièrement et politiquement une fois l’alliance en place.
Les effets de l’alliance sur l’ambition expansionniste de la Turquie
La future alliance israélo-arabe aura une troisième conséquence importante : elle freinera le président turc Erdogan dans sa volonté de raviver des éléments de l’Empire ottoman et d’usurper le leadership de l’Arabie saoudite, grande gardienne de l’islam sunnite dans le monde. En totale opposition et contradiction avec les intérêts du Golfe et d’autres États arabes et avec ceux d’Israël, Erdogan apporte un soutien sans faille à plusieurs groupes extrémistes islamistes, comme les Frères musulmans, le Hamas, le Djihad islamique et même l’État islamique, pour mener à bien son programme qui menace directement les principaux États arabes. Une future alliance israélo-arabe permettra de bâtir un mur impénétrable qui empêchera Erdogan de s’immiscer davantage dans les affaires des pays du Moyen-Orient.
Erdogan s’oppose également à l’accord de paix conclu entre les Émirats arabes unis et Israël parce qu’il sait qu’avec le temps, une grande alliance israélo-arabe comprendra le Qatar (où la Turquie a établi une présence militaire), qui veut retourner dans le giron des États du Golfe, où se trouvent en fin de compte ses intérêts nationaux. Une fois en place, l’alliance affaiblira aussi les relations de la Turquie avec le Soudan, qui tient à établir la paix avec Israël. Il est probable que le Soudan décide d’annuler l’accord qu’il a conclu avec la Turquie pour lui louer l’île de Suakin dans la mer Rouge, une île qu’Erdogan cherche à rétablir en tant que destination touristique (bien que, à mon sens, il prévoit d’y poster des troupes turques pour être à proximité de la Péninsule arabe) dans le cadre de son projet global visant à instaurer une ère néo-ottomane.
Tout ce que la Turquie trouve à dire, c’est que « l’histoire et la conscience des peuples de la région n’oublieront et ne pardonneront jamais ce comportement hypocrite. Il est extrêmement préoccupant que les Émirats arabes unis puissent, de manière unilatérale, tenter de faire table rase du Plan de paix arabe élaboré par la Ligue arabe ». Les dirigeants turcs se fourvoient toutefois sur les deux plans : l’accord de paix conclu entre Israël et les Émirats arabes unis aura des conséquences régionales extrêmement positives et il reste conforme à l’initiative de paix arabe puisqu’aucun des États arabes ne revient sur la nécessité de créer un État palestinien, si ce n’est qu’ils doivent changer de stratégie pour obtenir le même résultat.
Même si Trump et Nétanyahou ont joué un rôle majeur dans la mise au point de cette entente, les bases de cet accord de paix ont été jetées il y a plusieurs années. Trump n’a pas ménagé ses efforts pour parvenir à sa conclusion, car il cherche désespérément à obtenir un semblant de victoire juste avant les élections. Nétanyahou, tout comme Trump, a cruellement besoin de démontrer ses qualités d’homme d’État en ce moment, non seulement parce que son gouvernement pourrait s’effondrer d’un jour à l’autre et qu’il veut avoir un bilan solide à soumettre à l’électorat, mais aussi parce que le temps presse avant qu’il ne passe en jugement pour trois faits passibles de poursuites pénales.
Au cours des prochains mois, nous assisterons à la formation de l’alliance israélo-arabe. Grâce à l’Iran, une chose est sûre : cette alliance deviendra une réalité irréversible car, en toute circonstance, elle servira non seulement l’intérêt collectif de sécurité nationale des États arabes, qui constitue leur plus grande préoccupation, mais aussi la promesse de sécurité, de prospérité et de paix.