Transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem
Ou comment transformer des conséquences potentiellement désastreuses en avancées significatives
Si le président Trump honore sa promesse électorale et déplace l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem, cette décision aura des répercussions considérables tant au niveau régional qu’international. L’administration Trump procède actuellement à une nouvelle évaluation des conséquences qu’occasionnerait ce transfert. À l’heure actuelle, aucune décision définitive n’a été prise. Compte tenu du caractère délicat de la situation et des répercussions importantes, si Donald Trump décide de déplacer l’ambassade, il est primordial qu’il trouve une solution équilibrée afin d’éviter toutes retombées potentiellement désastreuses de cette démarche. Le transfert de l’ambassade américaine pourrait radicalement modifier la dynamique du conflit israélo-palestinien pour un mieux, tout en préservant la solution à deux États.
Trump devrait profiter de la visite du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou à Washington le 15 février pour souligner que le déménagement de l’ambassade américaine à Jérusalem a un prix : a) cette décision ne peut pas empiéter sur la perspective d’une solution à deux États ; b) les États-Unis reconnaîtront Jérusalem-Est en tant que capitale du futur État palestinien ; c) l’expansion des colonies ne peut pas continuer de la sorte ; et d) Israël ne doit pas mettre en œuvre la nouvelle loi qui légalise rétroactivement des centaines de colonies clandestines établies sur des terres privées palestiniennes, loi que la Cour suprême israélienne annulera probablement quoi qu’il arrive.
Le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem constituera purement et simplement une reconnaissance de facto de Jérusalem, dans ses deux parties, est et ouest, comme la capitale d’Israël. Puisque le gouvernement israélien insiste sur le fait que Jérusalem est la capitale unifiée et éternelle de l’État hébreu, cette décision supposerait que les États-Unis reconnaissent la position israélienne.
Pour faire la part des choses, il est nécessaire au préalable d’évaluer les retombées de cette initiative unilatérale de l’administration Trump.
Premièrement, les États arabes, avec à leur tête le Royaume hachémite de Jordanie – gardien des lieux saints musulmans, notamment de la mosquée al-Aqsa et du Dôme du Rocher –, considéreront ce geste comme une attaque flagrante contre l’islam en lui-même. Même si les Israéliens prennent des mesures spéciales pour que la Jordanie continue d’assurer la garde de ces lieux saints, jamais les États arabes ne permettront à Israël d’asseoir sa souveraineté sur Haram Al-Sharif (le mont du Temple), à l’exception du mur des Lamentations (une partie du mur extérieur du Second Temple).
Deuxièmement, le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem mettra, pour ainsi dire, un terme aux espoirs de paix reposant sur une solution à deux États. En effet, pour les Palestiniens, la création d’un État indépendant dont la capitale se situerait à Jérusalem-Est est non négociable. Ce n’est pas seulement une demande symbolique : il s’agit d’un impératif au cœur du conflit israélo-palestinien. Nul ne devrait sous-estimer, si les Palestiniens ne peuvent obtenir l’établissement de leur capitale à Jérusalem-Est, les violences inouïes qui pourraient exploser entre Israéliens, Palestiniens et autres groupuscules extrémistes arabes. Des violences incomparables aux conflagrations que nous avons connues par le passé.
Troisièmement, le statut et la crédibilité des États-Unis au Moyen-Orient, déjà bien érodés depuis la guerre en Irak, essuieront un nouveau revers cuisant dans les relations qu’ils entretiennent avec leurs alliés arabes de la région. Les États-Unis doivent réaffirmer leur position et leur rôle de meneur avec le soutien de leurs partenaires européens et arabes, afin de mettre fin aux multiples conflits faisant rage dans la région. Les États-Unis ne peuvent tout simplement pas offrir davantage de possibilités à la Russie qui s’empresse de miser sur leurs déroutes, car le président Vladimir Poutine est prêt à exploiter tous les avantages du chaos qui règne dans cette partie du monde.
Quatrièmement, le fait de déplacer l’ambassade des États-Unis à Jérusalem pourrait avoir une incidence incroyablement défavorable sur l’avenir d’Israël, car il risque d’anéantir toute perspective de paix israélo-arabe. Cette décision encouragerait par ailleurs le gouvernement de droite de Nétanyahou à annexer de nouveaux territoires palestiniens et à intensifier l’implantation de colonies, sabordant ainsi toute possibilité de coexistence pacifique entre Israéliens et Palestiniens. À première vue, l’initiative de Donald Trump semble contribuer à la réalisation du rêve tant caressé par les Israéliens. Mais en réalité, cette décision risque de nuire considérablement aux relations qu’Israël entretient avec l’Égypte et la Jordanie. Elle risque de compromettre les traités de paix qui jouent un rôle fondamental pour contenir l’instabilité dans la région et limiter les menaces contre la sécurité nationale israélienne.
Cinquièmement, le transfert de l’ambassade ne ferait qu’aliéner davantage la communauté européenne, qui s’estime la plus touchée par les bouleversements qui ne cessent de secouer le Moyen-Orient et qui considère que le conflit israélo-palestinien contribue énormément à la résurgence de l’extrémisme. La montée du Hamas, du Hezbollah et d’autres groupes extrémistes est, selon elle, une conséquence directe de l’occupation israélienne. Pour l’Union européenne, implanter l’ambassade américaine à Jérusalem ne fera que porter le coup de grâce à la solution à deux États, ce qui engendrerait de plus en plus d’actes de violence dans la région, dont l’Europe continuera de souffrir.
Comment transformer des conséquences potentiellement désastreuses en avancées significatives :
Si le président Trump décide malgré tout de déménager l’ambassade américaine, il peut transformer les conséquences potentiellement désastreuses de cette décision en une percée historique qui pourrait changer la nature du conflit israélo-palestinien et consolider les perspectives de paix fondée sur une solution à deux États.
Comme les États-Unis ont acheté un terrain à Jérusalem-Ouest pour y bâtir l’ambassade américaine, mais que la construction a été reportée par plusieurs administrations américaines successives, Trump peut annoncer que les États-Unis commenceront bientôt l’édification d’une nouvelle ambassade dans la partie occidentale de la ville.
En même temps, Trump doit insister une nouvelle fois sur le soutien traditionnel des États-Unis en faveur d’une solution à deux États et de l’établissement de la capitale palestinienne à Jérusalem-Est, pour autant que les Palestiniens s’attellent rapidement et de façon soutenue à la négociation d’un accord de paix avec Israël. Les États-Unis doivent indiquer clairement que le transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem-Ouest ne constitue nullement une reconnaissance de la souveraineté d’Israël sur Jérusalem-Est.
Ceci étant dit, les États-Unis doivent réaffirmer leur position, à savoir que Jérusalem doit demeurer, en toutes circonstances, une ville entière et que les droits de tous les groupes religieux et ethniques doivent être respectés. Afin de rassurer les Palestiniens sur leurs intentions, les États-Unis pourraient acquérir un terrain ou un bâtiment à Jérusalem-Est en vue d’y installer la future ambassade américaine en Palestine, puisque, quoi qu’il en soit, la paix israélo-palestinienne n’existera pas tant que Jérusalem-Est ne deviendra pas la capitale de l’État palestinien.
Il ne fait aucun doute que le gouvernement de Benyamin Nétanyahou s’opposerait fermement à une telle initiative, mais comme le soutien politique et militaire des États-Unis est indispensable pour Israël, aucun gouvernement israélien ne peut contester la position des États-Unis. En effet, si Trump se soucie (comme je le pense) de la sécurité nationale et du bien-être futur d’Israël, la seule manière de les préserver est de soutenir que la solution à deux États reste une solution valable.
Les conséquences de cette décision à elle seule seront considérables :
- Malgré la vive opposition d’Israël, elle donnera un nouvel élan à la solution à deux États.
- Elle incitera les Palestiniens à modifier leur approche du conflit en mettant un terme aux provocations et à la violence, car ils commenceront à réaliser que la création d’un État palestinien pourrait bientôt devenir une réalité qu’ils ne veulent en aucun cas compromettre.
- Elle renforcera grandement la position globale des États-Unis auprès de leurs alliés arabes et rétablira leur crédibilité en tant que garant ultime de la stabilité régionale.
- Elle encouragera les États arabes à soutenir l’initiative américaine et à faire pression sur les extrémistes palestiniens pour qu’ils acceptent l’inévitable.
- Elle renforcera le pouvoir des partis d’opposition israéliens, qui seront plus à même d’élaborer d’autres politiques que celles de Nétanyahou, tout en affaiblissant la position des Israéliens extrémistes.
Le président Donald Trump peut donc tenir sa promesse de déplacer l’ambassade américaine et, par la même occasion, au lieu de torpiller tout espoir de paix entre Israël et les Palestiniens, relancer le processus de paix, voire mettre fin au conflit le plus affligeant depuis la Seconde Guerre mondiale.