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octobre 10, 2017

Annuler l’accord nucléaire iranien : une erreur stratégique dangereuse

Il est tout à fait légitime de craindre que l’Iran poursuive ses efforts pour mettre au point des armes nucléaires dès que le Plan d’action global commun aura expiré dans dix ans. Mais il ne sert à rien de vouloir répondre à ces préoccupations en annulant l’accord actuel. Cette mesure ne ferait que raffermir davantage la volonté de l’Iran d’acquérir un arsenal nucléaire. Au contraire, les États-Unis et leurs alliés (aux côtés de la Russie et de la Chine) devraient s’appuyer sur cet accord pour qu’à son expiration, l’Iran n’acquière pas rapidement des armes nucléaires. L’idéal serait que l’État iranien soupèse les avantages de ne pas se doter de ce type d’armes par rapport à n’importe quel avantage stratégique qu’il pourrait éventuellement tirer en obtenant pareil arsenal.

Cette solution ne garantit nullement que l’Iran abandonne son ambition d’acquérir des armes nucléaires. Mais elle donne à la communauté internationale le temps et l’occasion d’offrir à l’Iran des mesures d’encouragement ainsi que la perspective de devenir un membre actif, constructif et respecté de la communauté des nations, s’il demeure un pays non nucléaire.

Dans son discours à l’Assemblée générale des Nations Unies, le président américain Donald Trump a déclaré : « L’accord avec l’Iran est l’une des pires transactions et l’une des plus biaisées auxquelles les États-Unis aient jamais participé. Franchement, cet accord est un embarras pour les États-Unis et, croyez-moi, nous n’avons pas fini d’en entendre parler ».

Le problème, c’est que Donald Trump est tout simplement résolu à défaire les mesures législatives et les décrets du président Obama, qu’importe leur mérite, leur utilité ou leur efficacité. Hélas, le Plan d’action global commun n’y échappe pas. Le président américain ferait mieux de certifier que l’Iran a respecté et continue de respecter pleinement l’accord conclu, car l’annulation de ce dernier déclenchera des répercussions régionales et internationales dangereuses, bien au-delà de ce que Trump est capable d’envisager.

Avant la conclusion de cet accord, le gouvernement de Téhéran subissait déjà de fortes pressions, notamment de la population iranienne, pour résoudre le problème nucléaire avec les États-Unis, obtenir la levée des sanctions et atténuer la misère économique du peuple. Maintenant que le gouvernement respecte entièrement les termes de cet accord, les Iraniens soutiennent la position de leur gouvernement, même si cela signifie souffrir considérablement de l’imposition de nouvelles sanctions sévères. Les États-Unis ne peuvent donc pas compter sur le futur mécontentement de la population iranienne pour faire pression sur son gouvernement afin de négocier une nouvelle entente.

Une fois l’accord annulé, l’Iran sera libre de reprendre son programme nucléaire, au mépris des recommandations de la communauté internationale (d’autant plus que la plupart de ses installations sont toujours en place), ce qui entraînera inéluctablement une prolifération nucléaire au Moyen-Orient – précisément ce que les États-Unis cherchent à éviter. Trump pense qu’il pourrait négocier un meilleur accord, mais ses suppositions ne tiennent pas la route. Il lui reste encore à démontrer ses soi-disant talents de négociateur, alors qu’il a misérablement échoué à négocier avec son propre parti pour adopter un nouveau projet de loi en matière de soins de santé. En outre, comme l’Iran respecte en tous points l’accord actuel, il refusera catégoriquement de le renégocier.

À ce stade, l’annulation de cet accord entamera par ailleurs sérieusement la crédibilité des États-Unis qui essayent en même temps de trouver une solution pour négocier l’utilisation des armes nucléaires avec la Corée du Nord. Le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un n’a aucune raison de se fier à Trump. Pour arrêter d’étendre son arsenal nucléaire, duquel il pense que la survie de son pays dépend, Kim Jong-un doit obtenir l’assurance que les États-Unis négocient de bonne foi. Or, renier l’accord nucléaire iranien compliquera considérablement toute négociation éventuelle avec l’État nord-coréen et ne facilitera pas la mise en place de solutions durables.

Les alliés des États-Unis, à savoir la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne – ainsi que la Russie et la Chine, cosignataires de cet accord – s’opposent fermement à l’annulation et ne soutiendront pas l’imposition de nouvelles sanctions. De plus, l’abandon de cet accord aura pour conséquences de laisser les États-Unis complètement isolés, de fragiliser la sécurité mondiale et de mettre à rude épreuve les relations de l’État américain avec ses alliés, eux-mêmes soumis à de fortes pressions suite au comportement imprévisible et malvenu de Donald Trump.

Si l’accord est annulé et que l’Iran obtient des armes nucléaires, cette situation consolidera sensiblement son emprise régionale et nourrira davantage son ambition hégémonique. De plus, l’annulation de cet accord aura pour conséquences d’intensifier le conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran, de prolonger la guerre par procuration entre les sunnites et les chiites au Yémen, en Irak et en Syrie, et d’enraciner davantage l’Iran dans tout le croissant entre le Golfe et la Méditerranée.

Les efforts des États-Unis pour lutter contre l’extrémisme islamique violent seront entravés, dans la mesure où l’Iran sera beaucoup plus dévolu au soutien de groupes extrémistes, au financement du terrorisme et à la déstabilisation de la région où et quand il le souhaitera. En outre, l’Iran poursuivra avec détermination son programme de missiles et aucune nouvelle sanction américaine ne pourra l’en dissuader, même si ces mesures ont permis de faire pression sur l’État iranien par le passé.

Le Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou fait cavalier seul en poussant naïvement Trump à annuler l’accord iranien. Il semblerait cependant que celui-ci ne comprenne pas les conséquences que cet acte malavisé aura sur la sécurité nationale d’Israël. En effet, l’annulation de l’accord iranien désavantagera considérablement Israël, puisque l’Iran sera en mesure d’accélérer l’élaboration de ses armes nucléaires. Selon toutes les estimations, l’Iran sera capable de tester une arme nucléaire dans un an.

Enfin, l’annulation de cet accord changera radicalement l’équilibre du pouvoir au Moyen-Orient entre les États arabes et l’Iran. Elle aura le même effet sur Israël et Téhéran, puisque l’Iran neutralisera le bouclier nucléaire israélien et laissera le pays tributaire d’une dissuasion nucléaire précaire au lieu de bénéficier d’un avantage stratégique.

Trump devrait écouter son secrétaire à la défense James Mattis qui a récemment déclaré devant le Congrès qu’il était dans l’intérêt de la sécurité nationale des États-Unis de maintenir cet accord. Au lieu de l’annuler, et de faire face aux terribles conséquences évoquées ci-dessus, Trump (avec le soutien des autres signataires) doit veiller à ce que l’Iran continue de respecter pleinement l’ensemble des dispositions de l’accord, en avertissant Téhéran que la communauté internationale ne tolérera pas la moindre violation.

Les États-Unis doivent essayer de renforcer cette entente et s’assurer qu’à son terme, l’Iran continuera de respecter les règles et les exigences du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), dont l’Iran est signataire, afin de l’empêcher de poursuivre secrètement son programme nucléaire.

Les États-Unis doivent également insister sur le fait que l’Agence internationale de l’énergie atomique continuera de procéder à des vérifications et des contrôles intrusifs, illimités et inopinés, pour que Téhéran comprenne bien les conséquences désastreuses qui s’ensuivront si l’Iran se fait prendre la main dans le sac.

En outre, les États-Unis devraient renforcer pleinement la coopération de leurs services de renseignement avec ceux des leurs alliés en partageant des informations pertinentes pour empêcher l’Iran ou n’importe lequel de ses représentants de planifier et de mettre en œuvre un acte de terrorisme, ou d’envoyer ou de fabriquer des armes à l’un ou l’autre de ses clients, comme le Hezbollah au Liban.

Il faut convaincre Téhéran qu’il est inacceptable que l’Iran continue de soutenir des organisations terroristes en leur fournissant de l’argent et du matériel pour déstabiliser la région. L’Iran en paiera le prix non seulement par l’imposition de sanctions paralysantes, mais aussi en risquant une confrontation militaire avec les États-Unis.

Il convient de souligner que le potentiel d’acquisition d’armes nucléaires de l’Iran doit être examiné dans le contexte de la situation régionale. Les États-Unis devront donc tenir compte des conflits qui impliquent l’Iran – y compris les guerres au Yémen, en Syrie et en Irak – dès que l’État islamique sera totalement vaincu. En effet, tant que persistent ces luttes violentes, l’Iran cherchera sans aucun doute à obtenir des armes nucléaires pour renforcer sa stature et son influence dans la région.

Les États-Unis doivent dès lors inciter l’Iran à résoudre la guerre civile en Syrie, le conflit au Yémen et la stabilité future de l’Irak. L’État américain doit également reconnaître le droit à l’indépendance des Kurdes irakiens, une reconnaissance qui permettrait d’atténuer, plutôt que d’exacerber, les tensions entre les Kurdes irakiens et la Turquie, l’Irak et l’Iran. En outre, les États-Unis doivent apporter une aide financière au Liban, à la Syrie et au Yémen dans le but d’affaiblir l’influence et la portée de l’Iran.

Enfin, les États-Unis doivent renforcer la défense des pays du Golfe afin de dissuader l’Iran de lancer des attaques conventionnelles, en fournissant à ces pays ainsi qu’à d’autres alliés du Moyen-Orient un parapluie nucléaire qui rendra bien moins attrayante la quête d’un armement nucléaire aux yeux de l’Iran. Les États-Unis ne doivent laisser aucun doute dans l’esprit du clergé iranien : ils respecteront leur engagement de protéger leurs alliés s’ils sont menacés directement ou indirectement par l’Iran.

À l’inverse, l’État iranien doit s’attendre à ce que ses relations avec l’Occident se normalisent et à ce que toutes les sanctions qui lui sont imposées soient progressivement levées, à mesure qu’il manifestera sa volonté de mettre un terme au soutien qu’il apporte aux organisations terroristes et aux extrémistes violents, en endiguant son programme de missiles à longue portée et en permettant l’organisation d’inspections continues et illimitées de ses installations nucléaires.

Toute mesure ne visant pas à certifier le respect par l’Iran de cet accord sera contre-productive, car elle le plongera dans la confusion et le désarroi, le mettant tout à fait en péril. Trump doit encore faire preuve de perspicacité diplomatique ou démontrer ses compétences pour résoudre des crises, mais il ne fait que s’engager dans des polémiques imprudentes et dangereuses qui empoisonnent davantage les relations entre les ennemis et les amis des États-Unis.

Rendre l’accord iranien nul et non avenu couronnera l’approche perfide et malavisée de Trump et sapera irrémédiablement le leadership mondial, moral et politique de l’Amérique. Les généraux de Trump le savent pertinemment bien et doivent donc l’arrêter avant qu’il ne soit trop tard.

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