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juin 20, 2017

Cinquante ans d’occupation. Et ensuite ? Lettre ouverte au président Mahmoud Abbas

Monsieur le Président,

La semaine dernière, j’ai écrit une lettre ouverte au Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou, dans laquelle je lui reproche, avec la plus grande fermeté, de mener des politiques prolongeant l’occupation des territoires cisjordaniens, au lieu de chercher les moyens d’y mettre un terme en réglant le conflit israélo-palestinien sur la base d’une solution à deux États. Je m’empresse toutefois d’ajouter que vous, ainsi que les autres dirigeants du Hamas, avez contribué au maintien de cette occupation qui a aggravé les souffrances du peuple palestinien.

Je me suis toujours opposé à cette usurpation des territoires palestiniens, et je continue de m’y opposer. J’en veux principalement aux gouvernements israéliens de droite qui se terrent derrière des prétextes de sécurité nationale pour mieux poursuivre cette occupation illégale. Étant donné qu’Israël est de loin la partie la plus forte, le gouvernement aurait donc pu prendre des mesures importantes en faveur de la paix en préservant au mieux sa sécurité nationale. Cela étant dit, le gouvernement israélien n’est pas le seul à avoir entravé le processus de paix et, à moins que vous ne changiez d’approche et de stratégie à l’égard d’Israël, vous prolongerez encore cette occupation des territoires palestiniens.

Le fait qu’une bonne partie de la communauté internationale soutient votre cause ne suffit pas. Les politiques que vous menez actuellement font le jeu des électeurs israéliens de droite extrêmement puissants, qui se servent efficacement de vos actions et de vos discours pour justifier leur opposition à la fin de l’occupation en Cisjordanie. Ce faisant, vous fragilisez les partis politiques israéliens du centre et de la gauche, qui sont des acteurs fondamentaux pour la négociation d’un accord de paix et la fin de l’occupation, car eux seuls peuvent changer l’opinion publique en faveur d’une solution à deux États, à condition de gagner leur soutien et leur confiance.

Pour ce faire, vous devez élaborer une nouvelle stratégie que vous ou votre successeur devez poursuivre afin d’inverser la dynamique du conflit : adopter une politique non conflictuelle, prononcer des discours constructifs, mettre un terme à toutes les incitations à la haine, lancer des processus de réconciliation politique avec le Hamas, lutter contre la corruption, amorcer des projets d’aménagement public et mettre en place un programme impartial dans les écoles. Enfin, ne rejetez pas instinctivement les plaintes et inquiétudes des Israéliens par rapport au comportement des Palestiniens ; écoutez-les attentivement et adoptez la stratégie qui détrompera un nombre croissant d’Israéliens et les débarrassera de leurs idées préconçues sur la véritable intention des Palestiniens. Ne manquez pas une occasion supplémentaire, car plus le conflit et l’occupation des territoires palestiniens perdureront, plus vous serez contraint d’accepter une issue moins favorable.

Bien que l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ait adopté en 1993 les accords d’Oslo – une approche non violente pour résoudre le conflit israélo-palestinien –, les agressions, à des degrés divers, commises à l’encontre des Israéliens sont demeurées un problème majeur qui a empêché l’émergence d’un parti politique israélien puissant (ou d’une coalition de partis) capable de défier les partis de droite en ce qui concerne l’occupation. En 2000, la seconde Intifada, qui a causé la mort de plus de 1000 Israéliens, a marqué à jamais tous les Israéliens et a attisé leur méfiance à l’égard des Palestiniens, une méfiance qui aujourd’hui encore n’est pas oubliée.

Les actes de violence, sporadiques, mais persistants, ainsi que les trois guerres provoquées par le Hamas, son apologie de la destruction d’Israël et l’éloge des martyres palestiniens préoccupent constamment les Israéliens à l’égard des intentions ultimes des Palestiniens. À cause de ces inquiétudes, près de la moitié de la population israélienne croit que les Palestiniens ne sont pas près d’accepter le droit aux Israéliens d’exister en tant qu’État souverain, une conviction que les partis de droite utilisent efficacement comme argument convaincant en défaveur de la création d’un État palestinien.

S’il y a bien une chose que vous n’avez pas faite, Monsieur le Président, c’est de prononcer des discours publics constructifs affirmant, encore et encore, que l’État d’Israël existe bel et bien, et qu’aucun acte de violence à son encontre ne le fera fléchir. En réalité, c’est tout le contraire. Plus la violence persistera, moins vous aurez de chance de mettre un terme à cette occupation, car tous les gouvernements israéliens de droite qui se sont succédé ont su associer à merveille la poursuite de l’occupation des territoires palestiniens à la préservation de la sécurité nationale de l’État hébreu.

Si vous souhaitez changer de discours, vous devez avant tout prendre les mesures nécessaires pour cesser toute forme d’incitation à la haine. Les amorces du soulèvement brutal de 2015 (connu sous le nom d’« Intifada des couteaux ») ont en partie été allumées grâce à des incitations à la haine relayées sur les réseaux sociaux par le Hamas, des groupes islamistes et d’autres individus frustrés. Ces campagnes d’incitation à la haine glorifiaient les personnes qui commettaient des crimes violents ou les « martyres » défendant la cause de la résistance palestinienne. Des caricatures grossières, partagées sur Facebook, soulignaient la facilité avec laquelle de jeunes Palestiniens innocents pouvaient devenir des martyrs, avec des légendes telles que : « C’est facile. Rendez-vous dans la cuisine la plus proche et agissez au nom de Dieu. »

Lors du soulèvement de 2015, vous avez exprimé votre soutien total envers ces soi-disant martyrs en déclarant : « Nous saluons chaque goutte de sang versé pour la cause de Jérusalem ». Il est tragique de voir que vous, ainsi que plusieurs autres responsables palestiniens, défendiez l’emploi du terme « martyre » en parlant du meurtre de civils israéliens innocents, dont bon nombre désiraient mettre un terme à l’occupation de la Cisjordanie. Pourtant, lors d’une interview sur la deuxième chaîne de télévision israélienne en avril 2016, vous avez changé de ton en affirmant : « Dans une école, nous avons trouvé 70 garçons et filles avec des couteaux. Nous les avons confisqués et nous leur avons dit : “C’est une erreur. Nous ne voulons pas vous voir tuer et vous faire tuer.” »

Mais par la suite, début 2016, en signe d’appui officiel, le village de Surda-Abu Qash a baptisé un parc d’après le nom de Mohammad Halabi, un jeune homme de 19 ans abattu par des policiers israéliens après avoir attaqué des civils israéliens à l’arme blanche. Votre soutien public de pareils cas ne fait qu’encourager le recours à la violence. Il vous appartient désormais de vous montrer honnête avec votre propre public en cessant ces discours destructeurs. Les personnes plus jeunes ou plus influençables préféreraient embrasser la « gloire » des martyres plutôt que d’écouter vos appels timorés et occasionnels à renoncer à la violence. Au lieu de ça, vous fragilisez votre position aux yeux des Israéliens, en leur montrant l’image d’un dirigeant faible tenant un double discours et ne dominant pas la situation.

Il est vrai que le Hamas a constitué et continue de représenter un obstacle majeur à la paix ainsi qu’un redoutable rival pour votre autorité. Mais étant donné que le Hamas doit faire partie intégrante de tout accord de paix avec Israël, vous devriez multiplier les interventions publiques et affirmer que le renforcement de la cohésion politique palestinienne est une condition préalable à la conclusion d’un accord de paix avec Israël. Malheureusement, votre ego et vos rivalités personnelles font toujours obstacle à une meilleure cohésion.

Lors d’une récente réunion avec des ambassadeurs arabes, vous avez déclaré : « Je prendrai des mesures sans précédent contre le Hamas, puisqu’il a freiné le processus de réconciliation [entre le Fatah et le Hamas]. Je prendrai des mesures pénibles si le mouvement ne recule pas. » Vous devriez plutôt mobiliser les États arabes, en particulier l’Égypte, l’Arabie saoudite, la Jordanie et le Qatar, afin qu’ils persuadent et/ou fassent pression sur le Hamas pour que ce dernier accepte l’initiative de paix arabe et qu’il s’aligne ainsi sur le reste des États arabes pour conclure un accord de paix avec Israël.

À l’évidence, Monsieur le Président, votre légitimité politique est, et restera, un problème pour vous comme pour le Hamas. Le parlement palestinien (qui détenait des pouvoirs de surveillance limités) n’existe plus depuis que le Hamas a pris le contrôle de Gaza en 2007. Le Hamas et vous gouvernez désormais par décret.

Devant cette triste réalité, pourquoi Israël fermerait-il simplement les yeux sur la précarité de votre situation politique ? Les Israéliens qui s’opposent à la création d’un État palestinien soulignent régulièrement la fragilité de votre assise politique ainsi que votre désorganisation. Ils ont convaincu une bonne partie de l’opinion publique israélienne que vous n’êtes pas et que vous ne serez jamais un partenaire capable de forger un accord de paix durable.

La corruption généralisée qui ronge les différents niveaux de votre gouvernement constitue un autre problème majeur qui empêche d’accomplir de véritables progrès sur la voie de la paix. D’après un sondage réalisé en 2016, 95,5 % des Palestiniens « pensent que [votre] gouvernement est corrompu ». Le pourcentage est légèrement inférieur parmi les habitants de la bande de Gaza, mais il s’élève tout de même à 82 %.

Vous avez contribué à cette perception de corruption généralisée en permettant, par exemple, que le budget de l’Autorité palestinienne alloué au développement consacre 9,4 millions de dollars à votre avion présidentiel et 4,4 millions de dollars à d’« autres » dépenses indéfinies. La corruption règne également dans votre propre cercle de conseillers et d’élites de partis, qui touchent des salaires élevés et obtiennent des positions et d’autres avantages. Des dizaines de millions de dollars aboutissent dans des banques étrangères. L’Union européenne a noté que la corruption généralisée qui ronge l’Autorité palestinienne a entraîné la perte d’environ 2 milliards de dollars des fonds d’aide.

Imaginez un peu, Monsieur le Président, si ces fonds avaient été plutôt investis dans des projets de développement durable ainsi que dans de nouvelles infrastructures, à quel point le peuple palestinien aurait pu en bénéficier en termes de possibilités d’emploi, d’autonomisation, d’éducation et de progrès général ? À cet égard, le Hamas s’en tire encore moins bien, puisqu’il continue d’investir des centaines de millions de dollars dans la construction de tunnels et dans l’achat et la fabrication d’armes, au lieu de bâtir des logements, des cliniques, des écoles, des routes, des systèmes d’égouts et des réseaux électriques pour mettre fin aux souffrances et à la douleur des Palestiniens.

Hélas, bon nombre de dirigeants palestiniens préfèrent encore se focaliser sur la destruction d’Israël plutôt que sur la construction de leur propre État, en faisant valoir que le développement du pays et l’établissement d’infrastructures et d’institutions civiles reviennent à accepter le statu quo. Ils se trompent complètement. C’est la construction de structures étatiques et la mise en place d’une société florissante que vous voulez préserver qui garantiront indirectement à Israël que vous avez l’intention d’établir une paix durable.

Contrairement à Israël, qui est devenu une puissance mondiale et l’un des pays les plus avancés au monde, les Palestiniennes demeurent une entité sous-développée. Au lieu de bâtir un avenir prometteur pour les générations futures en acceptant la réalité d’Israël et en apprenant à rivaliser de manière constructive, les programmes scolaires palestiniens prônent l’endoctrinement et la préparation au prochain conflit violent, dépeignant tous les Israéliens comme des soldats prêts à tuer et à tout détruire.

Un autre aspect qui renforce les préjugés israéliens présupposant que les Palestiniens ne les reconnaîtront jamais, est l’utilisation dans les écoles de cartes ne détaillant pas les frontières israéliennes de 1967 reconnues au niveau international– et vous laissez faire. Votre ministre de l’Éducation Sabri Saidam a déclaré : « Je m’en tiendrai uniquement aux cartes que les Palestiniens désirent ». L’absence de cartes délimitant l’existence d’Israël dans les manuels scolaires entraîne un effet de domino, puisqu’elle prolonge ce conflit dans l’espoir de récupérer la totalité des territoires. Par exemple, à la question de savoir quelle est « superficie de la Palestine », la réponse 27 027 kilomètres carrés est considérée comme étant correcte, alors que ce chiffre comprend tout le territoire israélien actuel.

Une récente étude des manuels scolaires palestiniens révèle un exercice dans un livre de quatrième année qui « demande aux enfants d’écrire sur un martyr palestinien de leur choix ». Pour se défendre d’employer le mot « martyr », votre ministre de l’Éducation a ajouté : « Le héros d’un homme est le terroriste d’un autre ». Le même ministre a rejeté toutes les tentatives de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA – United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East en anglais) de mettre les programmes scolaires palestiniens aux normes de l’ONU, en affirmant : « En tant que ministre de l’Éducation, il est de ma responsabilité de préserver le narratif palestinien ». Le fait que vous soutenez la position de votre ministre sur cette question extrêmement délicate semble indiquer que vous êtes tout aussi coupable que lui, mais c’est à vous d’endosser la responsabilité ultime.

Personnellement, je crois que vous voulez régler le conflit avec Israël en vous fondant sur une solution à deux États. Mais, Monsieur le Président, si vous vous mettez à la place d’un Israélien qui observe ce qui a été dit, fait, revendiqué, promu, prêché dans les mosquées, et enseigné dans les écoles, comment vous sentiriez-vous ? Voilà ce à quoi vous êtes confronté. Vos déclarations en faveur d’une solution à deux États sonnent creux et semblent dépourvues de sincérité, malgré vos véritables intentions.

Monsieur le Président, vous devez vous rendre compte qu’il est inutile de reprendre les négociations de paix dans les circonstances actuelles, car elles ne mèneront nulle part. Vous devez commencer par tenir un tout autre discours et vous montrer honnête avec votre public : la politique de confrontation a échoué. Il est nécessaire d’établir une nouvelle stratégie pour mobiliser le spectre politique israélien du centre et de la gauche afin de soutenir une solution à deux États, en désabusant les nombreux Israéliens qui se nourrissent de ce conflit pour justifier leur vive opposition à la fin de l’occupation.

Vous pouvez mettre le gouvernement de Nétanyahou sur la défensive en demandant d’abord un processus de réconciliation – des mesures entre les peuples pendant au moins deux ans – afin d’atténuer le climat de méfiance exacerbé et d’apaiser les inquiétudes liées à la sécurité. Vous devez indiquer clairement que les Palestiniens veulent un État basé sur les frontières de 1967, qu’ils sont ouverts à des échanges territoriaux et qu’ils n’ont aucune autre ambition territoriale.

Vous devez commencer par condamner avec la plus grande fermeté tout acte de terreur et de violence, cesser toute incitation à la haine et expliquer à votre public désabusé qu’Israël ne disparaîtra pas. Vous devriez demander l’organisation d’activités conjointes entre les jeunes israéliens et palestiniens dans des domaines tels que le sport, l’art et le théâtre, et mettre sur pied des projets de développement touristique des deux côtés. Il est nécessaire d’adopter une stratégie de réconciliation pour ouvrir la voie à des négociations de paix constructives.

Cette stratégie affaiblira les redoutables partis de droite qui sont persuadés qu’ils peuvent tout avoir, en renforçant l’influence des partis de gauche et du centre qui soutiennent la création d’un État palestinien. Ils seront alors dans de bien meilleures conditions pour faire entendre leur voix et se mobiliser derrière la fin de l’occupation des territoires palestiniens sans pour autant se voir qualifier de traitres.

Je suis connu pour appeler à mettre un terme à cette occupation sous quelque forme que ce soit, mais je suis également connu pour le faire à ma manière. Voilà, Monsieur le Président, ce à quoi vous êtes confronté. Vous devez désormais apprendre à vous servir des arguments des ardents défenseurs israéliens de l’occupation et les utiliser contre eux. Cette nouvelle stratégie vous permettra de les désarmer massivement et de mobiliser un grand nombre d’Israéliens pour mettre un terme à l’occupation israélienne des territoires palestiniens.

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