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septembre 10, 2018

Collision imminente entre Erdogan et l’UE dans les Balkans

Alon Ben-Meir et Arbana Xharra

Interdit de promouvoir son dangereux programme islamique au sein de l’Union européenne, le président turc Recep Tayyip Erdogan cherche désormais à se servir de son influence grandissante dans les Balkans contre les pays occidentaux. Le retour offensif d’Erdogan dans les Balkans suscite de plus en plus d’inquiétudes parmi les critiques de l’Europe du Sud-Est — une région où le président turc mène des politiques plus incisives et où il étend stratégiquement sa flamme nationaliste islamiste par le biais d’un réseau de mosquées et d’établissements religieux.

Les États membres de l’UE ont pris conscience du danger qui émane de son projet islamique. L’Autriche, les Pays-Bas et l’Allemagne ont ainsi interdit à Erdogan d’organiser des campagnes électorales au sein de leur pays. En outre, il y a deux mois, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a ordonné la fermeture de sept mosquées et l’expulsion de plusieurs imams financés par la Turquie, ajoutant que plusieurs dizaines d’autres imams seraient également placés sous haute surveillance. « Des sociétés parallèles, l’islam politique et la radicalisation n’ont pas leur place dans notre pays », a argué Sebastian Kurz selon le New York Times.

L’initiative du gouvernement autrichien de fermer ces mosquées a provoqué la fureur d’Erdogan. Ce dernier a condamné cette décision qu’il a qualifiée d’islamophobe et a fait la promesse de se venger. Le président turc a profité d’un rassemblement en Bosnie pour souligner sa propension à défier les États occidentaux. « À une époque où les glorieuses puissances européennes qui prétendent être le berceau de la démocratie ont échoué, la Bosnie-Herzégovine a montré, en nous permettant de nous réunir ici, qu’elle était une véritable démocratie et non une soi-disant démocratie », a-t-il déclaré devant plus de 12 000 partisans.

De nombreux politiciens corrompus, imams, représentants d’ONG et universitaires des Balkans restent unis dans leur détermination à faire campagne au nom d’Erdogan, car ceux-ci profitent au fil des ans de la largesse et du confort que le président turc offre à ses fidèles. Voilà comment Recep Tayyip Erdogan est parvenu à conquérir les cœurs et les esprits, en particulier au sein de la population musulmane de la région.

Grida Duma, porte-parole du Parti démocrate d’Albanie – le deuxième plus grand groupe du Parlement – nous a confié que « pour Rama, le défi lancé par le Premier ministre albanais à l’UE en apaisant Erdogan était dangereux… et [qu’il] aurait de graves conséquences… car la proximité entre Rama et Erdogan ne sert pas les intérêts géostratégiques de l’Albanie ».

Les journalistes et les représentants de la société civile des pays des Balkans sont profondément préoccupés par l’avenir, surtout depuis la réélection d’Erdogan et la modification de la constitution turque, qui lui confère désormais des pouvoirs sans précédent.

Le journaliste et éditeur albanais Andi Bushati confirme l’observation de Grida Duma et indique que « cette proximité se traduit par des actes symboliques, comme les applaudissements d’Edi Rama lorsqu’Erdogan a déclaré : “le Kosovo, c’est la Turquie, la Turquie, c’est le Kosovo”. Mais elle se manifeste également sur le plan politique, par exemple, en approuvant la condamnation par Erdogan de la reconnaissance par Donald Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël ».

Afin d’exprimer leur admiration à l’égard de ce dirigeant autoritaire, les leaders serbe, macédonien, kosovar, albanais et bosniaque ont acclamé la réélection d’Erdogan et participé à la cérémonie de son investiture en signe de solidarité.

Parallèlement, l’assentiment du Kosovo au programme islamique d’Erdogan se fait de plus en plus transparent. Il y a quelques semaines, des centaines de Kosovars ont ainsi défilé dans les rues pour témoigner leur soutien à la « démocratie turque », avec à leur tête l’ambassadrice de la Turquie au Kosovo, Kıvılcım Kılıç.

La journaliste kosovare renommée Bekim Kupina a affirmé que les dirigeants du Kosovo ne devaient pas laisser Erdogan se servir de leur pays comme d’un tremplin vers l’Europe. « Le Kosovo a besoin d’écoles, de jardins d’enfants et de possibilités d’emploi, et non des institutions religieuses que la Turquie est en train de construire. »

Alors que l’UE cherche à accroître son influence dans les Balkans, la Russie et la Turquie travaillent sans relâche pour resserrer leurs propres liens avec cette région. Ce regain d’intérêt de la part de l’UE pour son arrière-cour méridionale vient également des craintes de l’influence grandissante de Moscou dans les Balkans.

Jelena Milić, directrice du Centre pour les études euro-atlantiques de Belgrade, confirme que le président serbe Aleksandar Vučić et Erdogan tissent des liens de plus en plus forts. « Le parcours d’Erdogan ne fait l’objet d’aucune critique de la part des médias contrôlés par le gouvernement serbe. Erdogan et Vučić se sont tous deux rendus à Sandžak, une province serbe peuplée principalement de musulmans bosniaques, mais le président turc s’est montré très prudent en mettant l’accent uniquement sur les liens économiques et sur les perspectives d’investissement », a expliqué Jelena Milić. Selon elle, l’influence de la Turquie dans cette région du monde croît à un rythme alarmant.

L’ex-diplomate bosniaque Zlatko Dizdarević, qui a occupé les fonctions d’ambassadeur en Jordanie, en Croatie, en Irak, en Syrie et au Liban, voit l’ingérence de la Turquie en Bosnie comme une « menace » qui affaiblit encore davantage le pays en aggravant les divisions internes.

Le soir de la réélection du président turc, le membre bosniaque de la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine Bakir Izetbegović, a félicité Erdogan pour sa victoire, tenant ces propos : « Monsieur le Président, vous n’êtes pas seulement le président de la Turquie, vous êtes notre président à tous ». Le journaliste bosniaque Sead Numanovic a déclaré qu’une telle déclaration encourageait Erdogan à intensifier son ingérence en Bosnie, laquelle a récemment ouvert un bureau de l’AKP à Sarajevo.

« Erdogan a fait la promesse publique de relier Sarajevo et Belgrade par une voie rapide et de construire une autoroute devant relier Novi Pazar à Sarajevo et Belgrade. Le coût de ces deux projets à eux seuls s’élève à plus de 3 milliards d’euros », explique Sead Numanovic. Ce dernier pense que les résultats des récentes élections en Turquie ont enhardi Erdogan, lequel utilisera son pouvoir et son prestige pour accroître son influence politique dans les Balkans.

Le président turc est déterminé à étendre son influence par le biais de moyens financiers et d’investissements, et il n’y a rien qui puisse vraiment l’arrêter, car il croit pouvoir en découdre avec l’UE sans risquer gros.

À l’inverse, Grida Duma a déclaré que « si de grands projets ont été confiés à des entreprises turques, aucune société américaine n’a investi récemment en Albanie ». Le rapprochement entre le Premier ministre albanais Edi Rama et Recep Tayyip Erdogan ne fait aucun doute. Leurs rapports amicaux mis à part, les deux hommes se soutiennent également sur le plan électoral.

Certes, Erdogan a clairement fait connaître sa position peu scrupuleuse aux puissances occidentales, soulignant que la Turquie serait bientôt aussi puissante et influente que l’était l’Empire ottoman à l’apogée de sa gloire. L’ambition du président turc de reconstituer les éléments de l’ère ottomane devrait refroidir n’importe quel pays avec lequel il cherche à établir des relations bilatérales actives.

Ses ouvertures cachent toujours des intentions sournoises, surtout maintenant que la plupart des pays des Balkans sont en train de négocier leur adhésion à l’Union européenne, en particulier la Serbie et la Macédoine, toutes deux officiellement candidates à l’adhésion.

Les Balkans constituent désormais la carte maîtresse d’Erdogan contre l’Europe, surtout depuis que les pays membres de l’UE lui ont interdit de propager son programme islamique et, en particulier, car la porte permettant à la Turquie de devenir membre de l’UE a pour ainsi dire été fermée.

Étant donné que les pays des Balkans occidentaux sont à la recherche de relations durables avec l’UE, celle-ci devrait renforcer ses relations avec les États balkaniques en leur fournissant un soutien financier et en investissant dans leurs principaux projets, tout en continuant à encourager leurs réformes sociales, politiques et économiques.

Cela étant dit, malgré les inquiétudes suscitées par le Brexit, l’immigration et l’extrémisme violent, l’UE doit réaliser des progrès constants vers l’intégration des pays des Balkans occidentaux. En ouvrant les négociations d’adhésion avec la Macédoine et l’Albanie qui, selon la Commission européenne, sont prêtes à rejoindre l’UE, l’Union européenne enverra un message clair au reste des Balkans, à savoir qu’elle considère sérieusement leur adhésion potentielle.

Les dirigeants des Balkans seront ainsi avertis : la voie vers l’adhésion à l’UE leur est ouverte, mais il est hors de question de se rapprocher d’Erdogan, qui a trahi les principes fondateurs de l’UE et qui s’obstine à faire entrer les Balkans dans son orbite islamique.

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