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juin 21, 2019

Discrimination sournoise à l’égard des Roms : la honte de l’Europe

Alon Ben-Meir et Arbana Xharra

Il y a deux semaines, une Rom de 29 ans a été agressée physiquement au beau milieu de la journée au Kosovo, après la circulation de fausses accusations selon lesquelles elle aurait enlevé des enfants. Les médias sociaux permettent de diffuser des discours haineux et des informations trompeuses, ce qui a souvent le don de déclencher des violences contre des Roms innocents. En général, la haine et le mépris qu’éprouvent les citoyens des Balkans et de l’ensemble de l’Europe à l’égard des Roms sont tristement ancrés dans leur psychisme et leur orientation culturelle. Ceci explique en grande partie pourquoi une jeune femme rom a été violentée en ville sous les yeux d’une foule de jeunes gens totalement indifférents. C’est à se demander pourquoi les gouvernements européens ne prennent pas toutes les mesures nécessaires pour mettre un terme à ce type de comportement ignoble, surtout dans les pays qui aspirent à rejoindre les rangs de l’UE.

Selon les estimations de la Commission européenne, 10 à 12 millions de Roms vivent en Europe, dont un million dans les pays des Balkans occidentaux. Ils représentent la plus grande minorité ethnique d’Europe, vivent en grande partie dans la pauvreté et sont victimes de préjugés, de violences, d’exclusion sociale, d’esclavage sexuel et de maltraitance à l’égard des enfants. D’après les informations reçues en 2018, rien qu’aux Pays-Bas, des centaines d’enfants roms ont été victimes de la traite, vendus en tant qu’esclaves sexuels. Même si des pays de l’UE ont interdit toute discrimination vis-à-vis de la communauté rom, celle-ci se heurte encore et toujours à d’importants obstacles en matière d’éducation, d’accès aux soins de santé et, évidemment, d’emploi.

À la suite de l’agression commise à l’encontre de la jeune Rom, Vlora Citaku, ambassadrice du Kosovo aux États-Unis, a fait part d’une anecdote personnelle, dans laquelle elle décrit la manière dont la société kosovare discrimine les Roms depuis plusieurs décennies. « Nurije et Fitim étaient dans ma classe », a-t-elle écrit. « Ils s’asseyaient toujours dans le fond de la classe, alors même que notre professeur leur demandait de s’asseoir avec nous. Mais nous nous moquions d’eux, nous ne voulions ni les toucher ni jouer avec eux, et encore moins leur parler. Un jour, Nurije est tombée malade et n’est pas venue à l’école pendant plusieurs semaines… Notre professeur s’efforçait de nous faire jouer ensemble et nous punissait si nous les blessions ou si nous nous moquions d’eux. Ils ne sont plus venus à l’école parce que nous étions devenus insupportables… et c’est entièrement notre faute. »

Des représentants de l’alliance « l’égalité des droits pour tous » (Equal Rights for All Coalition – ERAC) au Kosovo ont fermement condamné l’agression qui a été commise ainsi que la désinformation qui l’a entraînée. Ils ont prié la population de ne pas encourager les actes de violence.

Le rapport de la Banque mondiale intitulé « Breaking the Cycle of Roma Exclusion in the Western Balkans » (Briser le cycle de l’exclusion des Roms dans les Balkans occidentaux), publié en mars 2019, explique de quelle manière les Roms se retrouvent confrontés à de nombreux obstacles et contraintes qui entravent leur capacité à accumuler du capital humain, à participer au marché du travail sur un pied d’égalité et à bénéficier d’avantages économiques. « L’insuffisance du stock et de l’accumulation de capital humain, physique, financier et social entrave la capacité des ménages roms à générer des revenus tout au long de leur vie », indique ce rapport.

Bon nombre de Roms vivent dans le cadre de communautés isolées et, souvent, ne sont pas en mesure ou ne savent pas comment accéder aux services et programmes sociaux disponibles. L’analphabétisme, le manque d’accès à l’information, l’absence de confiance dans les autorités locales et même de nécessité évidente (notamment en ce qui concerne la situation des enfants) sont autant d’obstacles auxquels les Roms se heurtent.

Hélas, les pays des Balkans ne sont pas les seuls où la population rom se retrouve victime de discrimination et de violences physiques. Dans de nombreux États membres de l’UE, comme la Hongrie, l’Italie et le Royaume-Uni, les Roms sont confinés dans des zones isolées. Ils se voient refuser l’accès à l’éducation fondamentale et sont privés de possibilités d’accéder à un emploi. Ils subissent systématiquement des agressions racistes dans les rues et les sites de campement, souvent avec la complicité de la police.

Des agresseurs ont recherché et violemment agressé des familles entières, brûlé leurs maisons, et presque anéanti toute une communauté dans plusieurs camps à travers l’Europe. Les actes de violence à l’encontre des Roms sont rarement signalés et les Roms sont souvent utilisés comme boucs émissaires à qui l’on reproche des maux généraux de notre société. Ils sont fréquemment qualifiés d’étrangers, de citoyens inférieurs, et ne sont pas désirés au sein de leurs communautés respectives.

La communauté rom a été persécutée par le régime nazi, perçue comme une menace pour la race « aryenne supérieure ». Himmler a déclaré que les Roms devaient être placés « sur un pied d’égalité avec les Juifs et incarcérés dans des camps de concentration ». Soixante-quatorze ans après la chute des nazis, la situation des Roms en Europe ne s’est guère améliorée. Même s’ils ne sont plus victimes de génocide, ils demeurent en proie à des niveaux élevés de discrimination, de mauvais traitements et de violence.

En 2009, en Hongrie, un Rom et son fils de cinq ans ont été tués par balle alors qu’ils tentaient de fuir leur maison incendiée par des agresseurs. En mars 2019, à Paris, une série d’attaques commises par des groupes de justiciers ont été déclenchées par la diffusion de fausses informations au sujet de tentatives d’enlèvement. L’été dernier, une violente agression a eu lieu dans un camp de Roms à l’extérieur de la ville de Lviv en Ukraine. Elle a fait un mort et quatre blessés, parmi lesquels un jeune garçon et une femme enceinte.

La situation ne s’améliore pas, même si, depuis de nombreuses années, l’UE concentre son action sur la prévention de la discrimination à l’égard des Roms. En 2011, la Commission européenne a présenté le cadre de l’Union européenne pour les stratégies nationales d’intégration des Roms, en évaluant les stratégies et mesures de politique d’intégration de chaque pays. En 2013, le Conseil européen a adopté une recommandation sur des mesures d’intégration efficaces des Roms dans les États membres. Il s’agit du tout premier instrument juridique au niveau de l’UE pour l’intégration des Roms.

Le journaliste et historien macédonien Xhemal Ahmeti explique que, selon les derniers rapports publiés par des organisations de défense des droits humains, les Roms sont surtout touchés en Roumanie et dans certains pays des Balkans, comme la Serbie et la Macédoine. « Les politiciens se servent aussi de ce problème, en particulier en campagne électorale. Quand [les politiciens] ont besoin de foules de gens, ils instrumentalisent la communauté rom avec peu d’argent pour obtenir leur soutien électoral », déclare Xhemal Ahmeti.

Au vu des violations systématiques des droits humains dont souffrent les Roms, les fonctionnaires haut placés de l’UE doivent en particulier donner la priorité à la lutte des mauvais traitements systématiques qui leur sont infligés, car il s’agit d’une grave violation des droits humains fondamentaux que l’UE est censée défendre. Il faut mobiliser la société civile, les médias et les ONG pour lutter contre la discrimination des Roms, sensibiliser l’opinion publique à ces graves pratiques discriminatoires et aux dommages qu’elles causent à la société. L’Espagne peut servir de modèle, en ce sens qu’elle a nettement amélioré la condition des Roms en matière d’accès à l’éducation, au logement et à l’emploi.

La question de la communauté rom et la manière dont elle est traitée doivent être sérieusement abordées par la Commission européenne, et en particulier par les pays candidats potentiels des Balkans qui souhaitent rejoindre l’UE. Il faut que l’UE fasse clairement comprendre à ces pays qu’ils doivent prendre des mesures immédiates et significatives pour lutter contre la discrimination à l’égard des Roms dans tous les aspects de la vie, en particulier dans les domaines de l’éducation, des soins de santé et des compétences professionnelles. Dans le cas contraire, ils risqueraient de mettre en péril la poursuite de leur processus d’adhésion, voire la perspective d’adhérer un jour à l’UE.

Selon le dernier rapport publié par la Banque mondiale en mars 2019, « l’inclusion des Roms n’est pas qu’un impératif moral… Il s’agit d’un aspect particulièrement important dans les sociétés vieillissantes, car l’intégration des Roms dans la population active peut contribuer à contrecarrer la diminution de la population en âge de travailler. La population rom est jeune et cet afflux de jeunes peut se transformer en dividende démographique grâce à un investissement adéquat dans l’éducation et les services de base. »

La discrimination fondée sur la race, l’appartenance à une secte, les croyances religieuses ou le genre est hélas enracinée dans notre système d’êtres humains. Le fait de nous distinguer d’« autrui » à cause notamment de notre croyance en notre supériorité ou en notre exclusivité nous donne un faux sentiment de pouvoir que nous aimons exercer, même, et surtout, en infligeant une douleur et une souffrance insupportables à autrui.

Si nous ne pouvons changer la nature humaine, nous pouvons modifier notre comportement et nous montrer plus tolérants en facilitant l’intégration des Roms dans les horizons les plus divers. Nous devons le faire non seulement dans l’intérêt de l’harmonie sociale et de la paix, mais aussi pour la productivité générale et les progrès qui peuvent être réalisés lorsque l’égalité et la justice l’emportent.

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