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février 14, 2020

La parodie du siècle

Au bout de trois années au pouvoir, comment s’étonner de ce que Donald Trump est encore capable de dire, de faire ou de manigancer ? Au beau milieu de son procès en destitution, Trump a dévoilé son « accord du siècle », un accord qui fait complètement abstraction de plusieurs résolutions des Nations Unies, d’une série d’accords conclus avec l’appui de la communauté européenne et des États-Unis et d’accords bilatéraux entre Israël et les Palestiniens. Trump a chargé son « expert de renommée mondiale en affaires du Moyen-Orient », Jared Kushner, de présenter un accord dans le but de résoudre un conflit qui dure depuis sept décennies et qui échappe à toutes les administrations américaines depuis 1948.

Certes, les États-Unis ont joué, au fil des ans, un rôle central dans les efforts entrepris pour résoudre le conflit israélo-palestinien, mais aucune administration américaine n’avait encore jamais présenté de proposition aussi détaillée, et certainement pas une proposition satisfaisant tous les desiderata d’Israël. Les administrations précédentes savaient pertinemment que préjuger de l’issue de ce conflit condamnerait d’emblée tout accord éventuel. Elles se sont donc contentées de donner une trame générale conforme aux accords préalables reconnus au niveau international.

Mais lorsqu’il s’agit de Donald Trump, les accords provisoires antérieurs, les résolutions des Nations Unies et les nombreuses négociations en face à face entre les deux camps n’ont tout simplement aucune importance. Non, il se fie entièrement à ses « compétences de négociateur » et à son audace de rustre pour proposer une solution que celles et ceux qui connaissent assez bien l’histoire de ce conflit, ses subtilités et sa dimension psychologique et pragmatique ne pourraient même envisager.

Il convient toutefois de souligner que les Israéliens et les Palestiniens se nient mutuellement le droit d’exister au sein d’un État indépendant. C’est donc une erreur de croire que l’un ou l’autre camp est innocent et totalement lésé. Tous deux ont contribué à l’impasse dans laquelle ils se trouvent aujourd’hui et tous deux sont coupables de ne pas avoir respecté les nombreux accords établis sous l’égide de la communauté internationale, auxquels ils ont souscrit à la base. Voici un résumé de ces résolutions et accords.

Le 29 novembre 1947, l’Assemblée générale des Nations Unies adopte la résolution 181, déclarant que « les États indépendants arabe et juif […] commenceront d’exister en Palestine […] le 1er octobre 1948 au plus tard ».

Le 22 novembre 1967, le Conseil de sécurité des Nations Unies adopte la résolution 242 « soulignant […] respect et reconnaissance de la souveraineté, de l’intégrité territoriale et de l’indépendance politique de chaque État de la région […] de vivre en paix à l’intérieur de frontières sûres et reconnues […] ».

Le 22 octobre 1973, dans sa résolution 338, le Conseil de sécurité des Nations Unies « demande aux parties en cause de commencer immédiatement après le cessez-le-feu l’application de la résolution 242 (1967) du Conseil de sécurité dans toutes ses parties […] ».

Le 17 septembre 1978, les accords de Camp David stipulent que « la base convenue pour un règlement pacifique […] est la résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations Unies, dans toutes ses parties ».

Le 13 septembre 1993, les accords d’Oslo visent à établir des principes d’autonomie « en vue d’un règlement permanent fondé sur les résolutions 242 (1967) et 338 (1973) du Conseil de sécurité ».

Le 28 mars 2002, l’initiative de paix arabe, adoptée à l’unanimité par la Ligue arabe et la communauté internationale, dont une majorité d’Israéliens, « [appelle à] l’acceptation par Israël d’un État palestinien indépendant, souverain, avec Jérusalem-Est comme capitale […] ».

Le 30 avril 2003, la Feuille de route pour la paix mise au point par un Quartet diplomatique (composé des États-Unis, de l’Union européenne, des Nations Unies et de la Russie) insiste sur le fait que « la solution […] passe par l’avènement d’un État palestinien […] vivant en paix et en sécurité avec l’État d’Israël et ses autres voisins ».

Dans sa grande sagesse, Trump a cependant choisi d’écarter ces résolutions antérieures d’un revers de la main et de se concentrer essentiellement sur ce qu’il considère comme « le meilleur pour Israël ». L’accord qu’il propose nuira pourtant davantage à Israël qu’il ne pourrait l’imaginer. Je pense pouvoir affirmer que Trump comprend fort bien les conséquences désastreuses de cet accord pour l’État israélien, mais qu’il ne s’en soucie guère tant que cela sert ses intérêts.

Donald Trump est réputé pour son non-respect des accords internationaux ; il s’est retiré de l’accord de Paris sur le changement climatique, de l’accord iranien (accord de Vienne sur le nucléaire iranien) et d’accords commerciaux avec la Chine, le Canada et le Mexique. Il a également révoqué de nombreuses réglementations établies par l’administration Obama dans son propre pays. Il ne fait aucun doute qu’il veut laisser son empreinte sur tout, qu’il soit d’accord ou non avec le sujet traité.

Par quelle logique Trump peut-il s’arroger le droit politique, religieux et moral de diviser un territoire occupé entre Israéliens et Palestiniens au mépris de l’ensemble des accords antérieurs et des accords reconnus au plan international ?

Donald Trump a consulté les Israéliens maintes et maintes fois à propos de chaque disposition de son accord, mais il a complètement ignoré les Palestiniens. Ceux-ci ont certes rompu le dialogue direct avec les États-Unis depuis la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël, mais Trump aurait au moins dû établir des contacts officieux avec les dirigeants palestiniens et étudier leurs exigences. Cette démarche aurait pu assurer une certaine réceptivité de leur part plutôt qu’un rejet catégorique.

Par ailleurs, en dévoilant son accord grandiose aux côtés de Benyamin Nétanyahou, Trump a envoyé un message sans équivoque sur sa position véritable et sur les personnes à qui il s’efforce de plaire. Cette scène a suffi à dégoûter même les Palestiniens modérés qui, autrement, auraient au moins fait semblant de s’intéresser à l’accord. Mais ce n’était pas dans son programme. Bien au contraire, il a délibérément agi de la sorte pour son public cible – et il a réussi sur ce point.

Comme pour tout le reste, tout ce que Trump touche meurt, et s’il y avait un quelconque espoir de paix, celui-ci ne se concrétisera pas avant plusieurs années, voire plusieurs décennies. Les Israéliens ne tarderont pas à donner suite aux dispositions de l’accord. Benny Gantz, leader du parti Bleu-blanc, a déjà déclaré que s’il devait former le nouveau gouvernement israélien, il annexerait toutes les colonies ainsi que la vallée du Jourdain.

Pour Gantz, comme pour Nétanyahou, c’est le soutien politique américain qui compte, peu importent les accords internationalement reconnus qui accordent aux Palestiniens le droit d’établir leur propre État indépendant.

Une chose est sûre, le plan de paix de Trump devrait être rebaptisé « la parodie du siècle » que les Israéliens et les Palestiniens paieront de leur sang.

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