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février 3, 2022

La Serbie ne pourra jamais faire marche arrière sur l’indépendance du Kosovo

Il est temps que le gouvernement serbe se réveille et prenne conscience que, quelles que soient les circonstances, l’indépendance du Kosovo est irréversible. Plus vite le gouvernement Vučić acceptera cette réalité, plus les avantages économiques, politiques et sécuritaires dont bénéficieront la Serbie et le Kosovo au sein de l’Europe seront importants.

Réparer les torts causés

Il est temps que la Serbie reconnaisse l’indépendance du Kosovo, non seulement parce qu’elle n’a ni le pouvoir ni les moyens d’annuler ce qu’une centaine de pays ont reconnu, mais aussi parce que le Kosovo est prêt à tous les sacrifices pour préserver ce qu’il a gagné au prix de sa sueur et de son sang. Le président Vučić devrait se mettre à la place des Kosovars albanais et se demander :

Pourquoi renonceraient-ils à leur indépendance et à leur liberté pour mettre leur sort entre les mains d’un pays qui, systématiquement, les discrimine, les maltraite et les considère comme des citoyens de seconde zone qui ne méritent pas l’égalité devant la loi ?

Pourquoi se soumettraient-ils au bon vouloir d’un pays qui leur a livré une guerre sans merci et semé le chaos et la destruction dont ils ne sont toujours pas remis ?

Pourquoi abandonneraient-ils leur indépendance au profit d’un pays coupable de crimes de guerre atroces – en exécutant sommairement plus de 10 000 hommes et jeunes garçons innocents, en violant plus de 20 000 femmes et filles et en infligeant des souffrances, des tourments et une honte indicibles sur leurs familles – dont elles souffrent encore aujourd’hui ?

Pourquoi laisseraient-ils leur indépendance aux mains d’un pays qui refuse encore et toujours de révéler l’endroit où se trouvent les lieux de sépulture de près de 2 000 hommes, femmes et enfants disparus ; un pays qui n’a pas la force morale d’admettre avoir commis des crimes de guerre flagrants et évidents aux yeux de tous ?

Pourquoi un peuple dont la religion, le patrimoine culturel, l’histoire et la langue sont différents accepterait de se soumettre à un pays avec lequel il n’a guère – de valeurs et d’aspirations – en commun ?

Ces sentiments pénibles et douloureux à l’égard de la Serbie et les cicatrices psychologiques indélébiles que la guerre a laissées sur tous les Kosovars n’ont fait qu’accentuer leur rejet de Belgrade. Ni Vučić ni aucun de ses successeurs ne sera jamais en mesure de lever ces obstacles profondément enracinés à moins que la Serbie reconnaisse l’indépendance du Kosovo et se rende compte qu’elle ne peut pas changer ce qui est devenu une réalité irréversible.

Retrait de reconnaissance : échec
Au fil des ans, les gouvernements serbes qui se sont succédé ont mené une campagne afin de persuader plusieurs pays de retirer la reconnaissance qu’ils avaient accordée au Kosovo. Ils ont échoué lamentablement. En mars dernier, le ministre serbe des Affaires étrangères a affirmé que 18 pays avaient soit retiré leur reconnaissance soit redéfini leur position sur le Kosovo, mais plusieurs de ces cas de « déreconnaissance » sont contestés, selon le média Balkan Insight. De plus, les pays qui ont agi de la sorte sont, pour la plupart, des petits États africains et du Pacifique qui n’influencent guère la scène internationale, voire pas du tout, notamment le Suriname, le Burundi et la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Actuellement, le Kosovo est reconnu par 115 pays, dont le dernier en date est Israël.

Aucune option militaire
Le président Vučić sait très bien qu’il n’est pas possible, sur le plan militaire, de forcer le Kosovo à renoncer à son indépendance. Même si les Kosovars albanais sont prêts à se battre jusqu’à leur dernier souffle pour refuser une telle victoire à la Serbie, l’OTAN interviendrait immédiatement et mènerait un assaut aérien, comme lors de la guerre de 1998-1999, qui a pris fin au terme de 78 jours de campagne de bombardement. La guerre a également mis un terme au règne horriblement répressif du président Slobodan Milošević sur la province yougoslave de l’époque. L’OTAN continue de garantir la sécurité nationale du Kosovo et Aleksandar Vučić n’est pas près de vérifier l’engagement de l’OTAN.

Incapacité à exercer une pression économique
Le Kosovo ne dépend pas de la Serbie sur le plan économique. Dès lors, aucun gouvernement serbe ne peut – ni maintenant ni prochainement – exercer une pression économique en vue de lui forcer la main. Le Kosovo peut importer des produits d’autres pays, y compris l’UE, la Turquie, la Chine et bien d’autres pays encore. Ainsi, le Kosovo peut même imposer des droits de douane sur les marchandises importées de Serbie, comme il l’a déjà fait. L’absence de levier économique du côté de la Serbie permet donc au Kosovo de ne faire aucune concession sans prendre le risque d’affaiblir son économie, comme nous l’avons vu précédemment.

Priver le Kosovo d’une adhésion à l’UE
Certes, en refusant de reconnaître l’indépendance du Kosovo, la Serbie empêche celui-ci de rejoindre les rangs de l’UE, son adhésion étant subordonnée à la fin du conflit et à une reconnaissance mutuelle – mais elle s’interdit également de rejoindre l’UE. De ce fait, le président russe Vladimir Poutine profite de l’occasion pour attirer la Serbie dans ses filets en lui vendant des armes, ce qui nécessite inévitablement la présence de formateurs militaires russes sur le sol serbe. Ironie du sort, même s’il sait que la croissance et la prospérité futures de la Serbie reposent sur l’UE, Aleksandar Vučić continue de mettre en péril l’intérêt national de son pays en refusant l’indépendance du Kosovo. Dans le même temps, il se piège lui-même dans la toile de Poutine, déterminé à affaiblir l’UE et à empêcher la Serbie de devenir un jour membre de l’alliance.

Vučić devrait se regarder dans un miroir et se demander s’il existe une quelconque perspective, aujourd’hui ou demain, de rétablir le Kosovo en tant que province serbe. S’il était fidèle à lui-même, il saurait que cette perspective n’existe pas. Il est temps qu’il fasse preuve de force morale et de sagesse politique en traçant une nouvelle trajectoire qui servirait les causes de son pays et celles du Kosovo.

Vučić peut prendre plusieurs mesures avant de reconnaître le Kosovo afin de préparer son peuple à accepter l’inévitable :

  1. cesser les discours publics qui prônent l’idée selon laquelle le Kosovo est une province serbe ;
  2. mettre fin officiellement à la campagne visant à persuader les pays ayant reconnu l’indépendance du Kosovo de retirer leur reconnaissance ;
  3. entamer un processus de normalisation avec le Kosovo dans de nombreux domaines, comme le commerce, l’échange culturel, la libre circulation des marchandises et des services, les échanges universitaires et les débats religieux entre prêtres et imams orthodoxes serbes, entre autres mesures ;
  4. coopérer à la recherche des personnes disparues afin de permettre aux milliers de familles qui souffrent encore de la perte de leurs proches de tourner la page ;
  5. nouer puis entretenir des relations régulières entre les responsables serbes et kosovars, en commençant par inviter le Premier ministre du Kosovo Albin Kurti à Belgrade pour entamer des discussions.

Au bout de deux ou trois ans de réconciliation, Vučić ou son successeur devrait suivre l’exemple de l’Allemagne et reconnaître les crimes de guerre qui ont été commis afin de permettre aux deux peuples d’entamer un processus de réconciliation nationale. Alors seulement, les deux parties pourront aborder d’autres questions conflictuelles, notamment la situation des Serbes vivant au Kosovo, la distribution de l’eau ou encore les frontières, tant que tout cela se fait dans le contexte d’un Kosovo indépendant que la Serbie finira par reconnaître.

Beaucoup diront que la Serbie n’acceptera jamais cet argument, quel qu’en soit le bien-fondé. Eh bien, c’est peut-être le cas pour l’instant, mais je défie n’importe quel Serbe de me montrer comment la dynamique du conflit évoluera pour proposer une nouvelle solution réaliste que le Kosovo pourra accepter, à part la reconnaissance de son indépendance.

Il est temps de mettre un terme à ce conflit atroce qui ne fait qu’aggraver inutilement le schisme qui divise ces deux pays. Ces peuples devraient vivre, se développer et prospérer en bons voisins dans la paix, en permettant à la génération suivante de Serbes et de Kosovars de s’épanouir ensemble et de laisser derrière eux le chapitre peu glorieux de leurs parents.

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