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septembre 11, 2018

« Le droit au retour », mais pour aller où ?

Depuis près de trois mois, les Palestiniens manifestent le long de la frontière entre Israël et Gaza sous la bannière de la « Marche du retour ». Une marche qui a pris une tournure violente et qui demeure ainsi à l’heure d’écrire ces lignes. Ce mouvement de protestation montre une nouvelle fois à quel point les Palestiniens sont égarés et induits en erreur, persuadés qu’il reste une perspective pour les réfugiés palestiniens de retourner dans leurs foyers d’origine dans l’Israël d’aujourd’hui. Si les dirigeants palestiniens savent que le droit au retour ne pourra jamais se concrétiser, le fait d’avoir encouragé l’effusion des jeunes derrière cet objectif irréalisable a non seulement fait naître de faux espoirs, mais aussi directement joué en faveur des partis israéliens de droite.

Tant qu’ils continueront d’insister sur le droit au retour, les Palestiniens ne gagneront jamais en crédibilité vis-à-vis de la plupart des Israéliens, lesquels soutiennent que la revendication palestinienne pour une solution à deux États n’est que la première étape vers la disparition d’Israël de la carte du monde. Et comme ils ne peuvent pas y parvenir par la force, ils optent pour des moyens démographiques en utilisant le droit au retour, ce qui explique également la tendance grandissante pour une solution à un seul État.

Les discours incessants des Palestiniens à propos de leur droit au retour a créé chez eux un état d’esprit qui en a fait un pilier fondateur sans lequel aucune paix israélo-palestinienne ne peut être instaurée. Toutefois, en traitant d’abord le droit au retour, il serait possible de dissiper les obstacles émotionnels et psychologiques qui empêchent les Palestiniens de se résoudre à l’existence absolue d’Israël.

En outre, compte tenu de la profonde discorde entre les deux camps sur toutes les autres questions conflictuelles, y compris Jérusalem, les colonies et la sécurité, il est impossible, ainsi qu’en témoignent les négociations antérieures, de résoudre ces conflits et le problème des réfugiés dans le cadre d’un unique accord global. Il sera donc nécessaire d’aborder séparément chacun des points de discorde, ce qui n’est possible que si les deux parties s’engagent à trouver une solution permanente et globale (élément indispensable) et si les États-Unis et leurs alliés occidentaux garantissent aux Palestiniens qu’une résolution en faveur des réfugiés ne constitue que la première étape du processus.

Même dans ce cas, il est illusoire de penser que l’Autorité palestinienne (AP) ou le Hamas accepteront de résoudre la question du droit au retour en premier lieu. En résolvant d’abord cette question, ils craignent en effet de perdre leur plus grand atout, donnant ainsi l’avantage à Israël, et que le processus de paix se termine sans la création d’un État palestinien indépendant.

Si de telles inquiétudes sont justifiées en raison de la politique expansionniste d’Israël, la perspective d’exercer un jour le droit au retour est inexistante et plus les Palestiniens attendent, plus la situation s’aggravera. Le nombre de réfugiés croît de façon exponentielle sans qu’il y ait la moindre perspective que la position israélienne change un jour.

La question est de savoir comment résoudre le problème des réfugiés au vu de l’obsession des Palestiniens pour leur droit au retour. Depuis plus de 70 ans, ceux-ci sont endoctrinés par leurs dirigeants qui leur répètent sans cesse que ce droit est inaliénable. Comment un dirigeant palestinien pourrait-il alors négocier un accord qui exclut soudainement ce droit ?

Pour les Palestiniens, dont l’attente du retour est ancrée dans leur psychisme, ce geste serait considéré comme la plus haute trahison et cela pourrait conduire à des violences sans précédent contre les forces de sécurité palestiniennes et contre Israël, à l’instigation des Palestiniens extrémistes qui ne veulent pas d’une solution n’impliquant pas la destruction d’Israël.

Dès lors, la seule façon de changer la dynamique du retour est de passer par les pays et les institutions – en particulier l’UE, les États-Unis et l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) – qui ont soutenu les réfugiés, qui continuent de les soutenir et qui ont maintenu ce problème par inadvertance au détriment des réfugiés. Ces institutions se doivent de réévaluer le statu quo et d’assumer la responsabilité de changer la façon dont ils abordent le problème en déclarant publiquement qu’il est temps de mettre un terme à cette comédie en réinstallant les réfugiés et/ou en les indemnisant.

On peut s’attendre à ce que les Palestiniens s’opposent à un changement aussi brutal et à ce qu’ils dénoncent l’attitude « traître » de l’UE, des États-Unis et de l’ONU à l’égard de leur cause. Mais l’argument en faveur de la réinstallation et/ou de l’indemnisation est indirectement considéré comme le seul choix pratique qui existe. Depuis la guerre des Six Jours en juin 1967, l’ONU, la Ligue arabe et d’autres groupes ont reconnu l’impossibilité du droit au retour et proposé une solution fondée sur des critères moraux rendant justice aux réfugiés.

La résolution 242 du Conseil de sécurité des Nations unies votée en 1967 « affirme d’autre part la nécessité de réaliser un juste règlement du problème des réfugiés ». Les accords d’Oslo de 1993-1994 stipulent ce qui suit : « il est entendu que ces négociations porteront sur les questions en suspens, notamment : Jérusalem, les réfugiés, les implantations, les arrangements en matière de sécurité, [et] les frontières… ». Quant à l’initiative de paix arabe lancée en 2002, elle évoque le fait de « parvenir à une solution juste au problème des réfugiés palestiniens… » [sans italique dans le texte original].

Dans toutes les négociations israélo-palestiniennes, les dirigeants palestiniens ont convenu que seul un petit nombre (25 000 à 30 000 personnes) de réfugiés seraient autorisés à rentrer chez eux au titre du regroupement familial sur une période de cinq à sept ans. En 2000 à Camp David, Yasser Arafat a accepté une telle formule, mais il a insisté pour que le libellé du droit au retour soit inscrit dans le document final, ce qu’Israël a refusé catégoriquement. Dans toutes les négociations qui ont suivi sous l’Amérique de Bush et d’Obama, l’AP a concédé qu’il n’y aurait pas d’autre droit au retour que celui stipulé ci-dessus.

Il convient également de redéfinir la notion de réfugié palestinien. D’après l’UNRWA, créé en 1949, le statut de réfugié palestinien est octroyé aux citoyens qui résidaient en Palestine mandataire (Israël actuel, Gaza et la Cisjordanie) et qui ont quitté ce territoire en 1948 et en 1967, ainsi qu’à leurs descendants, en ce compris les réfugiés juifs. Israël a absorbé ces Juifs, mais les réfugiés arabes, eux, n’ont jamais été officiellement réinstallés, que ce soit dans les États arabes ou en Cisjordanie et à Gaza.

C’est pourquoi, à l’avenir, l’UNRWA doit faire la distinction entre un réfugié palestinien qui, par définition, vit ailleurs que dans son pays de naissance (la Palestine actuelle) et une personne déplacée à l’intérieur de son propre pays qui a quitté ou qui a été expulsée de sa résidence initiale dans l’Israël d’aujourd’hui, mais qui vit désormais dans son propre pays – la Cisjordanie et Gaza.

Il est nécessaire d’établir cette distinction, sinon la liste des « réfugiés » continuera de s’allonger de manière exponentielle, incluant ceux qui sont nés dans leur pays d’origine en Cisjordanie et à Gaza, mais qui sont ironiquement considérés comme des réfugiés par l’UNRWA assurant sa propre pérennité.

Sur les quelque 5 millions de réfugiés palestiniens au total, près de 810 000 personnes sur les 2,5 millions de résidents en Cisjordanie bénéficient du statut de réfugiés. À Gaza, sur environ 2 millions de résidents, 1,3 million de personnes sont enregistrées en tant que réfugiés.

En Jordanie, sur les 3 millions de Palestiniens, près de 2,2 millions sont enregistrés en tant que réfugiés, alors que la grande majorité d’entre eux ont la pleine citoyenneté jordanienne. Au Liban, presque tous les Palestiniens (soit environ 500 000 personnes) sont considérés comme des réfugiés et se voient refuser le statut de citoyen. Il en va de même en Syrie qui compte près de 530 000 personnes enregistrées en tant que réfugiés. Dans ces trois pays, la vaste majorité des réfugiés palestiniens y sont en fait nés.

Il est temps pour ceux qui soutiennent les réfugiés de prendre l’initiative et de mettre fin à la crise humanitaire, à la misère et à l’humiliation de ces personnes en prenant les mesures suivantes :

Premièrement, étant donné que les Palestiniens ne changeront pas d’avis quant au droit au retour, les partisans des programmes de protection des réfugiés, notamment l’UE, les États-Unis et les États arabes, doivent changer de discours public et parler ouvertement de réinstallation, d’indemnisation et de réhabilitation. La modification des discours publics résonnera au fil du temps et servira de camouflage politique pour que les dirigeants palestiniens puissent progressivement adopter le même discours sur la nécessité de mettre fin à la tragédie des réfugiés sur cette base.

Deuxièmement, il convient d’accompagner ces discours publics d’une collecte initiale de 10 milliards de dollars à affecter aux réfugiés sur une période de 5 à 7 ans. Des fonds devraient être recueillis par l’UE, les États-Unis et les États arabes riches en pétrole. Le fait de récolter des fonds prouvera le sérieux de cette nouvelle initiative et aura un énorme impact psychologique et pratique sur la plupart des réfugiés, qui ont été victimisés et utilisés comme des pions par leurs dirigeants et qui sont impatients de mettre fin à leurs souffrances.

Troisièmement, la France et le Royaume-Uni devraient introduire une résolution auprès du Conseil de sécurité des Nations unies pour mettre un terme au mandat de l’UNRWA après sa dernière prorogation jusqu’en 2020, et créer à sa place une nouvelle commission de l’ONU qui superviserait le processus de réinstallation et rendrait régulièrement compte au Conseil de sécurité. La Commission devrait fixer une date limite au-delà de laquelle aucun Palestinien ne sera ajouté à la liste de réfugiés. Cette démarche permettrait de geler le nombre actuel de bénéficiaires, ce qui obligerait les États qui accueillent actuellement des réfugiés palestiniens à leur accorder la citoyenneté ou à faciliter leur réinstallation en Cisjordanie et à Gaza ou dans un pays tiers.

Quatrièmement, même si Israël n’assume aucune responsabilité à l’égard des réfugiés, le gouvernement israélien devrait, en signe de bonne volonté, fournir une aide technique dans les domaines du logement préfabriqué et de l’infrastructure. Il est dans l’intérêt d’Israël de faciliter le règlement du problème des réfugiés, qui hante aussi les Israéliens depuis soixante-dix ans.

Une résolution du problème des réfugiés dans ce sens contribuerait par ailleurs grandement à résoudre le conflit avec le Hamas, dans la mesure où la crise humanitaire qui se poursuit est alimentée par le feu du désespoir, source d’une violence intarissable.

Je ne présume pas un seul instant que les Palestiniens accueilleront cette initiative à bras ouverts, mais la quête d’une solution doit bien commencer quelque part. Les responsables de la prolongation du problème des réfugiés doivent désormais en assumer la responsabilité morale et jouer un rôle de chef de file afin de proposer une solution pour y mettre un terme.

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