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Artwork by Michael Anderson and Sam Ben-Meir
avril 30, 2018

Le poids des Syriens qui se meurent sur la conscience de l’Occident

Le président américain Donald Trump a qualifié de « mission accomplie » l’attaque des États-Unis contre plusieurs installations de recherche et entrepôts de produits chimiques spécifiques en Syrie. Les termes choisis sont corrects sur le plan technique, puisque les infrastructures visées ont en effet été détruites. Mais le fait de déclarer mission accomplie alors que le peuple syrien continue de vivre une vraie tragédie est cynique et décourageant. Cette attaque isolée ne dégage nullement les États-Unis de la responsabilité morale qu’ils ont de mettre un terme à cette guerre dans laquelle le peuple syrien est victime des puissances étrangères et d’un régime profondément corrompu. La vague de mort et de destruction qui ravage la Syrie est incomparable à tout autre conflit violent depuis la Seconde Guerre mondiale. Les États-Unis ne peuvent se permettre de garder le silence face à ces atrocités sans précédent.

Les leçons tirées de la guerre désastreuse en Irak, qui était le fruit d’un choix, et la prolongation de la guerre en Afghanistan ne devraient pas paralyser les États-Unis, comme ce fut le cas sous l’administration Obama. Les États-Unis ne peuvent plus tourner le dos au peuple syrien. Ils doivent songer attentivement aux répercussions que leurs alliés dans la région subiront si la Syrie venait à dépendre entièrement du bon vouloir de la Russie, de l’Iran et de la Turquie, dont les dirigeants se sont réunis à deux reprises à Ankara et qui agissent à l’unisson contre les intérêts stratégiques des États-Unis et de leurs alliés dans la région.

Au vu des troubles régionaux, le rôle des États-Unis est plus important aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été depuis les années 1970. Bien que la Russie joue un rôle central en Syrie et que sa pleine coopération soit essentielle à la recherche d’une solution, les États-Unis ne peuvent pas abandonner la Syrie complètement aux caprices de Vladimir Poutine.

Les États-Unis doivent aujourd’hui adopter une politique axée sur plusieurs fronts qui leur permettra de jouer un rôle plus décisif dans la quête d’une solution à la guerre civile en Syrie. Chaque composante de cette nouvelle politique est autonome, mais elles forment ensemble une stratégie globale qui doit être mise en œuvre, aussi problématiques ses composantes individuelles puissent-elles être et même s’il est incertain que Trump agira effectivement. Le risque de l’inaction pourrait plonger le Moyen-Orient dans une guerre qui entraînera inévitablement les États-Unis dans une bataille qu’ils n’auront pas choisi de livrer, et dans les circonstances les moins favorables.

Premièrement, au lieu d’ordonner le retrait des troupes américaines de Syrie, Trump doit tripler le nombre d’effectifs militaires américains afin de réaliser trois objectifs distincts : 1) indiquer sans ambiguïté à la Russie, à l’Iran, à la Turquie, et à Bachar el-Assad que les États-Unis ne disparaîtront pas et qu’ils ont l’intention de jouer un rôle de premier plan dans la recherche d’une solution ; 2) avertir Bachar el-Assad que s’il conduit de nouvelles attaques massives contre des civils au moyen d’armes conventionnelles ou chimiques, les États-Unis riposteront sur-le-champ en ciblant ses infrastructures militaires, y compris les terrains d’aviation, les hangars, les dépôts d’armes et les systèmes de défense aérienne, où et quand il leur plaira ; et 3) empêcher la réapparition de l’État islamique et rétablir la crédibilité des États-Unis pour que personne ne doute de leur sérieux.

Deuxièmement, les États-Unis doivent mettre en garde l’Iran de ne pas chercher à établir une base militaire en Syrie, et enrôler la Russie pour que celle-ci exerce des pressions sur Téhéran à cet effet afin d’éviter un conflit israélo-iranien, qui ne peut que nuire à l’influence du gouvernement russe en Syrie. Il est plus que probable que le président russe soutienne cette initiative, car il ne veut pas partager tout le butin de la guerre civile en Syrie avec l’Iran et la Turquie. Cela étant dit, le gouvernement américain doit prévenir la Russie qu’il ne tolérera aucun massacre perpétré par le gouvernement syrien et que si Moscou ne contient pas Bachar el-Assad, les États-Unis et leurs alliés se verront dans l’obligation de punir le président syrien, ce que la Russie cherche à éviter. En outre, les États-Unis doivent indiquer sans ambages à la Russie que si Moscou décide de livrer à Bachar el-Assad le système de défense aérienne S-300, ainsi que l’a suggéré le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov, la situation n’en sera qu’aggravée, car Israël n’hésitera pas à attaquer pareil système s’il se sent menacé.

Troisièmement, quelles que soient les tensions croissantes entre les États-Unis et la Turquie, le gouvernement américain doit insister auprès du président turc Recep Tayyip Erdogan pour qu’il mette fin à ses attaques contre les Kurdes syriens et pour qu’il retire ses forces de Syrie. Les États-Unis doivent empêcher la Turquie d’envahir les Kurdes en Syrie et prévenir Erdogan qu’ils ne toléreront plus sa lutte contre l’YPG (bras militaire des Kurdes syriens) sous prétexte de combattre le PKK. Les Kurdes syriens sont une force de combat des plus loyale et fiable contre l’État islamique et les États-Unis ont l’obligation morale de les protéger d’Erdogan, ce dictateur impitoyable qui cherche à établir une présence permanente en Syrie. Cela fait partie de son grand programme d’islamisation politique qui vise à étendre l’influence de la Turquie dans la région.

Quatrièmement, les États-Unis doivent empêcher Bachar el-Assad de reprendre le plein contrôle en Syrie, à moins d’établir un gouvernement de transition qui représente toutes les grandes sectes du pays et qui restera à la tête du pays pendant au moins cinq ans. Ce gouvernement devra au départ être dirigé par Bachar el-Assa, car la Russie et l’Iran ont besoin de lui pour maintenir leur présence « légitime » en Syrie et parce que le président syrien a besoin d’eux pour rester au pouvoir, deux choses sur lesquelles les États-Unis ne peuvent pas faire grand-chose. Cela dit, un nouveau dirigeant (qui pourrait encore être alaouite) devra toutefois être élu, tant que la population sunnite majoritaire et les Kurdes sont correctement représentés.

Cinquièmement, les États-Unis doivent envisager de nouveau d’établir une zone d’exclusion aérienne à l’est de l’Euphrate et une autre le long de la frontière entre la Syrie et la Jordanie. Ces zones de protection permettraient à de nombreux réfugiés syriens de retourner dans leur pays en toute sécurité. Une zone d’exclusion aérienne imposée par les États-Unis et leurs alliés empêcherait Assad d’attaquer des régions contrôlées par les rebelles et permettrait de réduire l’effusion de sang quotidienne. Le fait est que tant que sa position n’est pas menacée, Bachar el-Assad préfèrera coopérer, ce qui réduira également la résistance russe à l’établissement d’une zone d’exclusion aérienne. Il convient de noter que la Russie connaît actuellement une certaine lassitude de la guerre et qu’elle pourrait bien accueillir favorablement l’implication des États-Unis, ce qui permettrait aussi d’améliorer les relations bilatérales avec Washington, une situation que Trump et Poutine désirent tous deux.

Sixièmement, Trump ne doit en aucun cas « décertifier » l’accord iranien. Il doit au contraire essayer de renégocier (avec ses alliés que sont la Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne) certaines dispositions du plan liées notamment aux clauses de temporisation et le présenter à la Russie et à la Chine afin de gagner leur soutien. Ce serait courir au désastre que de décertifier l’accord iranien et de retirer les troupes américaines actuellement déployées en Syrie. Ces mesures permettraient à l’Iran de reprendre son programme d’armement nucléaire, de camper sur ses positions en Syrie et de faire pression sur les autres États de la région pour qu’ils mènent leur propre programme d’armement nucléaire. Tout cela irait certainement à l’encontre des intérêts de la sécurité nationale des États-Unis, et en particulier d’Israël. Trump doit écouter le président français Emmanuel Macron qui l’invite à améliorer l’accord actuel, et non l’alarmiste Benyamin Nétanyahou, trop égocentrique pour comprendre les terribles implications régionales qu’aurait la décertification de cet accord.

En outre, la décertification de l’accord iranien quelques semaines seulement avant le sommet organisé entre Donald Trump et le président de la Corée du Nord, Kim Jung-Un, nuirait gravement à la crédibilité des États-Unis. Le dirigeant nord-coréen comprendrait clairement qu’on ne peut se fier aux États-Unis et pourrait bien torpiller tout accord potentiel entre les deux parties.

Septièmement, pour que les États-Unis deviennent un acteur actif et puissant en Syrie, ils doivent témoigner de la compassion à l’égard des réfugiés syriens. Même s’il est difficile pour Trump de comprendre que les musulmans ne sont pas intrinsèquement violents et qu’ils ne sont pas tous des terroristes purs et simples, les États-Unis ne peuvent pas renoncer à leur obligation morale et se comporter en État paria. Trump doit accueillir dans son pays un nombre non négligeable de réfugiés syriens et rétablir la position humanitaire traditionnelle des États-Unis afin de fournir de l’aide aux communautés qui en ont besoin chaque fois qu’elles en ont besoin.

C’est dans la foulée de la Seconde Guerre mondiale et des horreurs qui s’y sont produites que l’expression « plus jamais » est apparue, suggérant que la communauté internationale ne laisserait plus aucun pays, où que ce soit et à aucun moment, commettre des atrocités humaines en toute impunité.

Barack Obama et, à son tour, Donald Trump font honte aux États-Unis qui ne se sont pas montrés à la hauteur de leur responsabilité morale en tant que leader mondial, en abandonnant le peuple syrien à un despote et à ses cruels alliés que sont la Russie et l’Iran.

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