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octobre 2, 2017

L’indépendance des Kurdes irakiens se fait attendre depuis des décennies

Le 25 septembre 2017, les Kurdes irakiens tiendront un référendum sur l’indépendance. Le « oui » l’emportera très probablement à une majorité écrasante. Hélas, aucun pays (si ce n’est Israël) n’a cependant exprimé son soutien vis-à-vis de cette décision historique des Kurdes d’enfin réaliser leur rêve, vieux de plusieurs décennies, d’établir leur propre État. Une victoire du « oui » lors de ce référendum n’entraînera pas automatiquement l’indépendance du Kurdistan irakien, mais elle représentera une étape cruciale qui ouvrira la voie à des négociations avec le gouvernement chiite de Bagdad pour conclure un accord.

Quelle que soit la difficulté de ces négociations, et malgré l’opposition au référendum, même de la part des alliés des Kurdes, en particulier des États-Unis (sans doute parce qu’il arrive au mauvais moment), les Kurdes doivent rester déterminés à aller de l’avant comme prévu. Voilà plusieurs décennies qu’ils espèrent l’indépendance.

Pour faire la part des choses, il convient de faire un bref rappel historique de la situation des Kurdes. Les Kurdes constituent un groupe ethnique originaire du Moyen-Orient, composé essentiellement de musulmans sunnites. Ils parlent une langue distincte et partagent une identité culturelle singulière, bien qu’ils soient dispersés dans quatre pays. Depuis des siècles, les Kurdes représentent le principal groupe ethnique apatride (30 millions actuellement) du Moyen-Orient. Soumis à différents empires et despotes, ils ont été victimes de discrimination et d’oppression et se sont vu déposséder de leur culture unique.

Les Kurdes ont plusieurs fois tenté de créer leur propre pays, mais à chaque fois, leurs efforts ont été de courte durée : le Royaume du Kurdistan indépendant établi à l’issue de la Première Guerre mondiale a duré moins de deux ans (1922-1924) avant d’être partagé entre l’Irak, la Turquie et la Syrie. En 1946, les Kurdes iraniens (forts du soutien de l’Union soviétique) ont proclamé une république du nom de Mahabad, mais celle-ci s’est effondrée au cours de la même année lorsque les forces iraniennes ont repris le territoire.

Les quatre pays qui s’opposent à l’indépendance des Kurdes sont, bien entendu, ceux qui enfreignent le plus effrontément leurs droits de l’Homme. Ils oppriment les Kurdes systématiquement et sans aucune pitié, ce qui leur a laissé une marque indélébile de ressentiment et de mépris à l’égard de leurs pays de résidence.

La Turquie abrite la plus grande communauté kurde (15 millions de Kurdes, soit 18 % environ de la population turque). Celle-ci se bat pour préserver son identité ethnique et son mode de vie dans le respect de son héritage culturel riche et ancien. Il est difficile d’énumérer les actes de maltraitance commis à l’encontre des Kurdes sous le règne brutal du président turc Recep Tayyip Erdogan. Un rapport de l’ONU fait état de nombreuses violations des droits de l’Homme : assassinats, disparitions, actes de torture, destructions de bâtiments d’habitation, entrave à l’accès aux soins médicaux, etc. Les forces turques ne laissent que des ruines dans la région peuplée par les Kurdes. Des centaines de journalistes kurdes se trouvent derrière les barreaux et une dizaine de parlementaires kurdes ont été arrêtés, tandis que des tactiques de punition collective sont utilisées contre les villes et villages peuplés par cette minorité.

Les huit millions de Kurdes d’Iran (environ 10 % de la population) jouissent officiellement d’une représentation politique, mais connaissent depuis toujours de profondes inégalités sociopolitiques, ce qui a conforté la branche militante du parti démocratique du Kurdistan d’Iran (PDKI) dans son recours à la violence. Ces dernières années, le conflit entre les deux camps s’est intensifié davantage, forçant de nombreux civils kurdes à fuir le pays.

En Syrie, les deux millions de Kurdes (environ 9 % de la population) sont en grande partie inactifs sur le plan politique sous le régime de Bachar el-Assad. Au cours des cinq dernières années, ils ont profité de la guerre pour établir une région semi-autonome à laquelle la Turquie s’oppose avec véhémence, de peur qu’elle n’incite sa propre minorité kurde à réclamer son indépendance, à la manière des Kurdes irakiens.

Aucun de ces pays n’a le droit moral ou juridique de s’opposer à ce référendum. À ce stade, les Kurdes d’Irak doivent lutter de toutes leurs forces pour préserver leur droit inhérent à la liberté et à l’indépendance, car il est temps que leur soumission prenne fin.

Sept millions de Kurdes irakiens (à peu près 15 % de la population) sont victimes de persécutions depuis le premier jour de la création de l’État irakien en 1922. Les Kurdes ont été persécutés sans merci sous le régime de Saddam Hussein, qui a tué au moins 50 000 Kurdes dans les années 1980 ; plus de 5000 femmes, hommes et enfants ont été gazés à mort en 1988. Depuis 1991, les Kurdes ont consolidé leur autonomie sous la protection des Américains, ce qui leur a permis de créer une région autonome qui jouit désormais de tous les repères d’un nouvel État indépendant.

Après des années de soumission, de mauvais traitements, de discrimination et de répression brutale, la communauté kurde d’Irak est déterminée à ne plus jamais se soumettre aux caprices d’un gouvernement irakien. Le nationalisme kurde est le véritable moteur de cette communauté vers l’indépendance. Les Kurdes ne le compromettront pas, peu importe l’opposition quasi universelle à leur indépendance politique.

Tous les partis politiques kurdes, y compris l’Union patriotique du Kurdistan (UPK), rival traditionnel du président Barzani, et de nombreux autres affiliés aux principaux partis, restent fidèles à l’objectif d’une nation indépendante.

Le président Barzani a rejeté l’avertissement des États-Unis, prévenant que cette quête d’indépendance déstabiliserait davantage la région et diviserait l’Irak irrémédiablement. « Quand avons-nous jamais connu la stabilité et la sécurité dans cette région que nous devrions avoir peur de perdre ? », a-t-il déclaré. « Quand l’Irak a-t-il été si uni que nous devrions craindre de briser son unité ? Ceux qui disent ça cherchent simplement des excuses pour nous arrêter. »

L’ironie, c’est que les gouvernements turcs, irakiens et iraniens veulent que les membres de leurs communautés kurdes soient des citoyens loyaux, mais ils n’ont jamais compris que l’allégeance des Kurdes à leurs pays respectifs dépendait de la manière dont ils étaient traités, des libertés qui leur étaient octroyées et de la civilité qui leur était accordée. Ces gouvernements ne peuvent exiger des Kurdes une loyauté inconditionnelle alors qu’ils les privent de leurs droits fondamentaux. C’est le comble de l’hypocrisie et du mensonge.

En outre, la folie furieuse qui frappe le Moyen-Orient renforce davantage la détermination des Kurdes à se battre et à mourir pour leur autonomie, sinon leur indépendance, comme c’est le cas en Irak.

Le gouvernement irakien finira un jour ou l’autre par entamer des négociations avec les Kurdes dans le but d’établir un État indépendant, pour autant que Kirkouk n’en fasse pas partie. La ville de Kirkouk prête à controverse en raison de son énorme réserve de pétrole et parce que près de la moitié de sa population se compose d’Arabes et de Turkmènes. Barzani insiste pour inclure Kirkouk dans le référendum, mais il doit tenir compte des résultats et travailler avec le gouvernement irakien pour négocier une solution mutuellement acceptable.

Les États-Unis et l’UE doivent montrer que les droits de l’Homme, la liberté et la démocratie sont des droits qui appartiennent à tous les groupes ethniques, où qu’ils soient, en particulier lorsqu’ils sont gravement maltraités et que leurs droits civils et humains fondamentaux sont systématiquement violés. Il est sinon hypocrite, malhonnête et malveillant de prêcher l’évangile des droits de l’Homme, mais de les refuser aux personnes victimes de persécutions et de marginalisation.

L’hypocrisie des États-Unis est particulièrement déconcertante, dans la mesure où les Kurdes ont lutté et continuent de se battre loyalement aux côtés des Américains et de leurs alliés contre l’État islamique. Il est scandaleux et honteux de rejeter leur demande d’autodétermination, alors qu’ils ont été brutalisés pendant des années par tous les régimes irakiens qui se sont succédé, particulièrement sous Sadam Hussein.

Les États-Unis et l’UE doivent être les premiers à soutenir les Kurdes irakiens dans leur quête d’indépendance pour mettre un terme à ce simulacre historique infligé aux 30 millions de Kurdes.

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