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septembre 17, 2020

Serbie et Kosovo : un accord insuffisant pour mettre un terme à leur conflit

L’accord récemment conclu entre le Kosovo et la Serbie et négocié par les États-Unis en vue de normaliser les relations économiques entre ces deux pays des Balkans ne permet pas d’entamer le processus de réconciliation nécessaire qui permettrait au Kosovo d’obtenir la reconnaissance serbe de sa pleine indépendance. Certains éléments de cet accord de normalisation économique sont toutefois positifs, notamment la mise en service de l’autoroute de la paix et de la liaison ferroviaire entre Pristina et Merdare, le partage du lac de Gazivode/Ujmani et son exploitation comme source fiable d’approvisionnement en eau et en énergie, et le soutien financier apporté par la société américaine de financement du développement international (DFC) et par la Banque d’import-export des États-Unis (EXIM) dans le cadre des projets précités. Ces initiatives ainsi que d’autres projets permettront de créer des possibilités d’emploi pour plusieurs milliers de Kosovars et d’atténuer quelque peu la détresse économique de ce pays.

Hélas, cet accord n’est rien de moins qu’une entente superficielle, non seulement parce qu’il ne force pas la Serbie à reconnaître tôt ou tard l’indépendance du Kosovo, mais aussi parce qu’il n’oblige même pas la Serbie à renoncer, une fois pour toutes, à la campagne illégitime qu’elle mène contre la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. La Serbie a accepté de « s’abstenir de demander officiellement ou officieusement à tout pays ou toute organisation internationale de ne pas reconnaître le Kosovo [Pristina] en tant qu’État indépendant », mais ce n’est guère plus qu’un beau discours. Belgrade sait que la Russie opposera son veto à n’importe quelle résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies visant à reconnaître le Kosovo et le Conseil de sécurité est l’organisme international le plus important.

Il est tout aussi troublant de constater que cet accord comporte un certain nombre de manœuvres de diversion destinées à rehausser la position de Donald Trump dans sa lutte pour la réélection, des manœuvres qui n’ont rien ou peu à voir avec le conflit entre la Serbie et le Kosovo. On citera par exemple la reconnaissance mutuelle entre le Kosovo et Israël, une reconnaissance qui nécessite que Pristina ouvre une ambassade à Jérusalem, ce à quoi l’UE s’oppose farouchement, ainsi que le fait d’accepter de désigner le Hezbollah en tant qu’organisation terroriste. Par ailleurs, outre ces volets parallèles, il n’y a rien dans l’accord qui n’était pas déjà en cours ou entièrement convenu avant l’intervention des États-Unis. Enfin, cet accord n’est pas un traité, ce qui veut dire que la Serbie et le Kosovo peuvent s’y soustraire sans aucune sanction.

Comme d’habitude, Trump se focalise sur le développement économique comme s’il s’agissait d’une panacée capable de résoudre tous les conflits, quels que soient l’histoire, la dimension psychologique (qui continue de hanter le Kosovo en particulier) et l’environnement politique conflictuel dominant dans lequel ces deux pays ont vécu et qu’ils continuent d’adopter. Le conflit israélo-palestinien est un bon exemple à cet égard. Lors d’un sommet économique à Bahreïn, il a été convenu que les Palestiniens bénéficieraient d’un important programme de mesures économiques dans le cadre du processus qui conduirait à la paix ; celui-ci s’est toutefois soldé par un cuisant échec en ignorant les relations économiques passées et actuelles entre les deux parties et en ne faisant rien pour résoudre leur conflit.

Le conflit entre la Serbie et le Kosovo est profondément ancré dans leur esprit, et tant qu’il n’y aura pas de réconciliation historique, aucune normalisation économique, quelle qu’elle soit, ne pourra atténuer cette méfiance profonde qu’ils éprouvent l’un vis-à-vis de l’autre, de même que leurs revendications fondamentales. Pour mettre un terme à ce conflit, il faut en effet mettre en place un processus de réconciliation. La normalisation économique n’est qu’une des nombreuses conditions préalables à sa réussite.

Le processus de réconciliation doit toutefois avoir pour point d’ancrage la renonciation permanente de la Serbie à sa campagne de lutte contre la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo. En ne faisant que suspendre sa campagne pendant un an, comme l’accord l’indique, la Serbie démontre son manque d’engagement à reconnaître un jour le Kosovo.

Le Premier ministre kosovar, Avdullah Hoti, a commis une terrible erreur en ne faisant pas de cette exigence une condition préalable à tout accord avec la Serbie. En effet, quel est l’intérêt de développer des relations économiques si la Serbie peut, au bout d’un an, reprendre sa campagne contre la reconnaissance de l’indépendance du Kosovo ? Advullah Hoti n’a pas insisté sur ce point, ce qui tourne en dérision l’intégralité de l’accord et ce qui profite à la Serbie sur le plan économique sans l’obliger à prendre l’engagement (essentiel pour la réconciliation et l’instauration de la confiance) de mettre fin à sa sinistre campagne. La normalisation économique ne devrait être considérée que comme la première étape d’un processus de réconciliation, qui doit être basé sur les éléments suivants pour aboutir à une reconnaissance mutuelle :

Premièrement : les personnes et les marchandises devraient pouvoir circuler librement à la frontière dans les deux sens pour accroître les interactions entre les personnes. Cela contribuerait progressivement à guérir les blessures et à favoriser une confiance mutuelle. Les Serbes qui ont pour habitude de mépriser les Albanais kosovars doivent se réorienter vers cette nouvelle réalité. Pour la réconciliation, il est essentiel qu’ils traitent leurs voisins en égaux, notamment parce que la Serbie est plus grande, plus riche et supérieure au Kosovo d’un point de vue militaire. Le Kosovo ne peut pas négocier en position de faiblesse et accorder des concessions significatives sans indigner sa population.

Deuxièmement : il est primordial de conclure un accord de libre-échange, non seulement pour élargir et améliorer les relations dont les deux parties peuvent grandement bénéficier, mais aussi pour maximiser l’efficacité et la production d’articles spécialement conçus pour l’exportation vers l’autre partie. En outre, sans les droits de douane imposés sur l’ensemble des marchandises importées, celles-ci seraient plus abordables et bénéficieraient d’une plus grande demande. L’imposition d’un droit de douane de 100 % sur les marchandises serbes importées au Kosovo, qui a depuis lors été levée, constitue une expérience abjecte dont les deux pays devraient tirer une leçon instructive.

Troisièmement : la Serbie doit admettre et accepter la responsabilité des crimes de guerre qu’elle a commis contre le Kosovo pendant la guerre de 1999. Si elle ne le fait pas, aucune normalisation économique ni aucune autre interaction à n’importe quel niveau sociopolitique ne pourra fonctionner. Les atrocités commises par les Serbes et les horreurs que les Albanais kosovars ont endurées durant cette guerre ne disparaîtront pas avec une simple normalisation économique. La Serbie devrait prendre exemple sur l’Allemagne. Si l’Allemagne n’avait pas admis les crimes contre l’humanité qu’elle avait perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale, elle n’aurait jamais pu tourner cette horrible page historique, et encore moins intégrer la Communauté européenne et devenir l’un des chefs de file de l’UE.

Quatrièmement : les observateurs de l’UE doivent intervenir dans le processus de « localisation et d’identification des restes des personnes disparues […] ainsi que dans la détermination et la mise en œuvre de solutions durables à long terme en ce qui concerne les réfugiés et les personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays », comme l’accord le dispose, pour remédier à ce résidu persistant et douloureux de la guerre, ce qui est essentiel à la réconciliation. La Serbie s’est déjà montrée réticente à cet égard dans le passé, craignant que les charniers découverts n’apportent une preuve supplémentaire qu’elle a effectivement commis des crimes de guerre à grande échelle. Une surveillance est nécessaire pour que le passé soit dévoilé et que les blessures puissent commencer à cicatriser.

Cinquièmement : au terme de ce processus, la Serbie doit s’engager à reconnaître le Kosovo en tant qu’État indépendant dans les trois à quatre ans, au cours desquels un grand nombre de problèmes sensibles devraient être résolus au moyen de négociations directes. En cas d’impasse et de désaccord, l’UE servirait de médiateur, notamment parce que les deux pays souhaitent intégrer l’UE. Mettre fin à leur conflit avec la contribution de l’UE permettrait de faciliter la conclusion d’un accord, qui est une condition préalable à l’intégration.

En dernière analyse, la Serbie doit accepter le fait que l’indépendance du Kosovo est irréversible et qu’il n’y a rien qu’elle puisse faire pour changer cela. Plus de 110 pays ont reconnu l’indépendance du Kosovo, dont les États-Unis et une majorité d’États membres de l’UE. Il est temps que Belgrade cesse d’imaginer le Kosovo comme s’il s’agissait encore de l’une de ses provinces ou comme s’il pouvait de nouveau l’être.

Cependant, la Serbie, tout comme le Kosovo, sait que l’avenir de sa sécurité et de sa prospérité passe par l’UE. Il est nécessaire d’entamer des négociations de bonne foi pour régler leurs conflits dans le but de parvenir à une reconnaissance mutuelle et ouvrir ainsi un nouvel horizon pour ces deux pays, un horizon où ils pourront croître et prospérer et donner aux nouvelles générations un avenir prometteur au lieu de rester esclaves du passé.

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