All Writings
août 29, 2017

Syrie : la communauté internationale au bord du précipice moral

Depuis ces six dernières années, la guerre civile qui déchire la Syrie a déjà fait couler beaucoup d’encre, mais hélas le nombre croissant de morts et de destructions s’apparente désormais à de simples données statistiques. La communauté internationale est devenue insensible à des horreurs comme on n’en a jamais connu depuis la Seconde Guerre mondiale. Les acteurs internes et externes nourrissent leurs propres intérêts en perpétuant ce conflit mortel dans l’espoir de renforcer leur position et de poursuivre leurs objectifs à long terme. L’ironie, c’est qu’aucun des principaux intervenants extérieurs (la Russie, l’Iran, les États-Unis, la Turquie et l’Arabie saoudite) et des protagonistes nationaux (le régime d’Assad, les sunnites et les Kurdes) n’obtiendra d’avantages durables pouvant compenser les pertes atroces infligées à la Syrie et à ses citoyens.

Qu’est-il arrivé à ce sentiment de « plus jamais » que le monde entier a ressenti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et qui devait éviter que de telles calamités ne se reproduisent ? Jusqu’où la boussole morale de la communauté internationale devra-t-elle se perdre avant de mesurer l’ampleur de cette catastrophe ?

Combien d’hommes, de femmes et d’enfants devront encore mourir et quelle ruine le pays subira-t-il encore avant que nous ne prenions des mesures pour mettre fin à cette folie qui semble contaminer tous les acteurs impliqués, pour lesquels plus rien d’autre ne compte si ce n’est leur propre intérêt criminel ?

Les « crimes contre l’humanité » ne sont plus qu’une formule à la mode, couvrant de honte chaque intervenant national et étranger qui aurait pu arrêter le massacre, mais n’a rien fait. Immunisée, la communauté internationale n’a pris aucune responsabilité et s’est déchargée de sa culpabilité morale, tandis que le sang de Syriens innocents continuait de ruisseler, entachant ce qui leur reste de conscience.

Les hommes et les femmes de Syrie subissent des pertes, des souffrances, des angoisses et des privations indicibles, tandis que les enfants – des millions d’enfants – endurent des douleurs et des angoisses déchirantes inacceptables, désespérant en silence, puisqu’ils demeurent démunis et sans défense.

Selon l’ONG humanitaire internationale World Vision International, « plusieurs millions d’enfants de moins de cinq ans sont plus vulnérables que jamais aux traumatismes physiques, aux blessures, aux maladies contagieuses et à la malnutrition ». Au moins 8,2 millions d’enfants en Syrie et dans toute la région connaissent aujourd’hui des déplacements, des systèmes de santé en ruines et une insécurité alimentaire, tandis que plus de 2 millions d’enfants grandissent en tant que réfugiés.

Près de trois millions d’enfants de moins de cinq ans ont grandi sans connaître autre chose que la guerre. Un enfant sur quatre risque de souffrir de graves troubles mentaux, avec des conséquences parfois irréversibles. En raison des multiples attaques visant les hôpitaux, seuls 43 % des hôpitaux syriens sont aujourd’hui fonctionnels, alors que la moitié des médecins ont quitté le pays.

Jusqu’à 80 000 enfants syriens seraient infectés par le virus de la polio, qui a pourtant été éradiqué en Syrie en 1995. Les bombardements et les tirs d’artillerie sont la principale cause des traumatismes psychologiques dont souffrent les enfants, laissant de profondes cicatrices émotionnelles qui les hanteront tout au long de leur vie adulte. Au cours des cinq années de conflit, l’espérance de vie à la naissance a chuté de 15 ans, et pour couronner le tout, des dizaines de milliers d’enfants ont été tués.

Et si cela ne suffit pas, pensez seulement aux dommages infligés à ces enfants qui se sont retrouvés privés d’éducation de base, une école sur quatre ayant été endommagée, détruite ou utilisée comme abri pour les personnes déplacées. En 2015, il y avait 400 000 enfants non scolarisés en plus qu’en 2014 , plus de 4000 attaques visant des écoles ont rendu ces établissements scolaires insolvables.

Il ne s’agit pas que de vulgaires statistiques. C’est une véritable catastrophe qui se prépare sous nos yeux. Imaginez seulement, deux générations perdues ; elles ne connaîtront plus jamais la normalité, vivant dans l’angoisse et l’incertitude, tandis que le monde les observe avec complaisance.

Personne ne propose une solution qui pourrait mettre un terme à cette guerre funeste. Le CSNU s’est montré totalement incompétent. Grâce à son droit de veto, la Russie empêche l’adoption de toute solution qui ne répond pas à chacune de ses exigences. Le président Vladimir Poutine continue de soutenir Assad et ne ménage aucun effort pour conserver une présence russe en Syrie, un tremplin pour renforcer son influence régionale.

L’Iran, en conflit pour l’hégémonie régionale, continuera d’appuyer le régime d’Assad jusqu’à la mort du dernier soldat syrien. Les mollahs le soutiennent « au nom du Tout-Puissant », qui leur confère « l’autorité morale » de ravager le pays aussi longtemps qu’il le faudra pour réaliser leurs ambitions hégémoniques de la Méditerranée jusqu’au Golfe.

Le président turc Erdogan, qui désire déployer ses ailes sur tout le Moyen-Orient, livre bataille pour s’assurer une présence en Syrie. Il bombarde sans aucune discrimination les fortifications des Kurdes syriens, les accusant de soutenir le PKK, afin de les empêcher d’établir leur autonomie, une entreprise qui ne peut que déstabiliser encore plus la Syrie.

Les États-Unis sous l’administration Obama étaient le seul pays qui aurait pu éviter cette horreur. Hélas, Obama est resté les bras croisés, en permettant à la Russie et à l’Iran de continuer à piller le pays et de renforcer leurs acquis. Tout vantard qu’il soit, le président Trump n’a pas encore levé le petit doigt, si ce n’est en bombardant inutilement une base aérienne syrienne en réaction à l’utilisation d’armes chimiques par Assad, dans le seul but de montrer sa bravoure. Il empêche en plus honteusement l’entraînement des rebelles anti-Assad, les rendant vulnérables aux attaques sans merci des forces syriennes, russes et iraniennes.

L’Arabie saoudite continue quant à elle à fournir des fonds et du matériel aux rebelles pour mieux servir ses intérêts dans cette guerre qu’elle mène par procuration contre l’Iran chiite pour imposer sa domination dans la région, faisant de la Syrie un véritable champ de bataille entre les deux sectes, tandis que le peuple syrien en paie le prix.

Bachar el-Assad est évidemment libre de dévaster son pays pour rester aux commandes. Bon nombre de dictateurs ont traité leur peuple de manière impitoyable et cruelle pour conserver leur mainmise sur le pouvoir, bien que ces dernières années, aucun despote n’ait infligé autant de dévastation, de désolation et de désespoir à son propre pays que Bachar el-Assad, à la botte de la Russie et de l’Iran.

Jetez un œil aux monstruosités qu’il a commises : aucune personne censée ne peut rester indifférente à ces chiffres : près de 500 000 Syriens ont été tués depuis le début de la guerre civile en 2011 ; environ 13,5 millions de personnes, parmi lesquels plus de 6 millions d’enfants, ont besoin d’une aide humanitaire et de protection ; 6,3 millions de personnes ont été déplacées à l’intérieur du territoire et quelque cinq millions de Syriens ont fui leur pays et sont devenus des réfugiés.

Outre le nombre ahurissant de victimes, le coût du conflit syrien est aujourd’hui estimé à 275 milliards de dollars, et ces pertes astronomiques ne sont pas prêtes de s’arrêter. On pourrait s’attendre à ce que la communauté internationale réponde au moins à cette crise humanitaire en apportant les fonds nécessaires, mais son aide est déplorablement insuffisante, ce qui n’a rien de surprenant dans cette région. Les Nations Unies ont demandé des aides d’un montant record de 8 milliards de dollars cette année pour la Syrie, et 65 % de l’appel de fonds lancé par UNICEF demeurent sous-financés, tandis que les cinq membres permanents du CNU consacrent collectivement un milliard de dollars à leurs dépenses militaires.

Les échecs lamentables de tous les gouvernements et institutions impliqués directement et indirectement dans la calamité syrienne ne nous laissent pas d’autre choix que de lancer un appel aux masses. Peu importe votre pays de résidence, votre religion, votre culture ou votre orientation idéologique, hommes et femmes de conscience, levez-vous et faites-vous entendre. Exprimez-vous en faveur du peuple syrien sans défense et sans voix, trahi par des dirigeants corrompus et condamné à la dispersion, à la destruction et à la mort. Il est bien triste de constater que la communauté internationale se trouve aujourd’hui au bord du précipice moral.

TAGS
Non classé
SHARE ARTICLE