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novembre 13, 2023

Une dernière manche pour Israël ?

À moins qu’Israël ne mette en place une stratégie de retrait et n’entame la dernière manche qui permettra de résoudre le conflit israélo-palestinien en parfaite coordination avec les États-Unis et l’Arabie saoudite, la guerre contre le Hamas ne sera qu’une nouvelle éruption de violence et de brutalité parmi d’autres, le bouillonnement du prochain embrasement qui s’emparera de la Cisjordanie et qui pourrait incendier toute cette région du monde.

La guerre entre le Hamas et Israël s’éternise. Il est absolument essentiel à ce stade que la communauté internationale appelle à un cessez-le-feu ou, du moins, à une trêve de quelques jours afin de permettre l’acheminement de produits de première nécessité. De toute évidence, la communauté internationale manifeste de plus en plus de sympathie pour le peuple palestinien, face à l’ampleur des destructions et des pertes en vies humaines. Cette crise humanitaire aux proportions inimaginables éclipse totalement le massacre inconcevable de 1 400 personnes en Israël et l’enlèvement de 248 autres personnes. Si Israël a le droit de se défendre contre ces attaques, la campagne dans laquelle il s’est lancé pour éradiquer le Hamas ressemble malheureusement de plus en plus à une guerre motivée par un désir de vengeance et de châtiment, entraînant de terribles destructions et des souffrances humaines inimaginables. Quatre semaines seulement après le déclenchement des hostilités, environ 11 000 personnes sont mortes à Gaza, dont un tiers d’enfants de moins de 18 ans. La nourriture, les médicaments, l’eau et le carburant manquent cruellement et près de la moitié de la population est désormais déplacée à l’intérieur du territoire.

Cette calamité se déroule sous nos yeux et doit cesser, ne fût-ce que temporairement, afin de sauver la vie de dizaines de milliers de blessés, d’enterrer les morts et d’éviter une famine à grande échelle. Même si l’interruption temporaire des hostilités profite au Hamas, elle en vaut la peine, non seulement pour alléger les souffrances de la population gazaouie, mais aussi pour permettre de négocier la libération du plus grand nombre d’otages possible, en particulier les femmes et les enfants, en échange d’une trêve.

L’objectif qu’Israël s’est fixé dès le départ était et reste à juste titre la destruction du Hamas, mais l’État hébreu n’a toujours pas proposé de stratégie de retrait évidente ou envisagé une dernière manche claire et précise. Lorsque le Hamas sera totalement vaincu – et ce n’est pas là une mince affaire –, Israël devra, avec le soutien notamment des États-Unis et de l’Arabie saoudite, proposer une piste de solution rationnelle afin de répondre aux aspirations du peuple palestinien et de faire perdre toute pertinence au Hamas.

Le président américain Joe Biden doit exiger que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et les hauts gradés de son armée mettent au point, en coordination avec les États-Unis, une stratégie de retrait clairement définie et envisagent une dernière manche cohérente avec les intérêts nationaux d’Israël, de la population palestinienne et des États-Unis.

Les manifestations qui se sont déroulées dans de grandes villes américaines durant le week-end, notamment à Washington, sont sans nul doute les plus importantes que nous ayons vues depuis longtemps. Ces appels à un cessez-le-feu ou à une trêve humanitaire font pression sur Biden pour qu’il cesse d’apporter un soutien quasi inconditionnel aux efforts de guerre d’Israël, qu’il ne peut plus ignorer. D’autant plus que ce soutien sans faille rend l’administration Biden complice de la tragédie qui se déroule actuellement, ce qui fait l’objet de vives critiques dans les rangs des principales figures démocrates également.

Quelle dernière manche ? Selon moi, trois scénarios sont envisageables. Deux d’entre eux sont peu pratiques dans le sens où ils ne déboucheront pas sur une solution permanente au conflit israélo-palestinien.

Un contrôle israélien sur la bande de Gaza
Dans le premier scénario, Benyamin Nétanyahou affirme vouloir assurer la sécurité dans la bande de Gaza, mais il ne précise nullement qui la régira et l’administrera. A-t-il l’intention de réoccuper toute la bande de Gaza ou seulement la moitié nord ? Cela pourrait expliquer pourquoi il voulait que les Palestiniens se dirigent vers le sud. Joe Biden laisse sous-entendre qu’une réoccupation totale ou partielle de Gaza ne serait qu’une catastrophe pour Israël et ne ferait que garantir la prolongation du conflit, et il a parfaitement raison.

De plus, il faut souligner que si l’on tient compte de l’expérience d’Israël en Cisjordanie occupée, le maintien de la sécurité n’a pas été un franc succès, comme en attestent les violences qui persistent et s’intensifient entre les forces israéliennes et les Palestiniens. Benyamin Nétanyahou a tort s’il croit pouvoir assurer la sécurité à Gaza en mettant en place un dispositif de sécurité alors que les militants affiliés au Hamas soumettront les forces israéliennes à des attaques terroristes qui seront lourdes en conséquences, du point de vue des pertes et des dépenses. Les violences en Cisjordanie seront bien anodines par rapport à ce que les militants du Hamas à Gaza seront encore capables de faire contre les forces israéliennes sans perspective de fin au conflit.

Une réinstallation des Palestiniens en Égypte
Le deuxième scénario, que Nétanyahou envisage avec l’Égypte, permettrait à quelques centaines de milliers de Palestiniens de s’installer dans la région du Sinaï ; l’Égypte assumerait la responsabilité administrative de Gaza et Israël en assurerait la sécurité. Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi a catégoriquement refusé le déplacement massif de Palestiniens de Gaza vers l’Égypte, si ce n’est pour faciliter, par le point de passage de Rafa, le transfert de personnes pour des raisons justifiées ainsi que l’acheminement de marchandises. Le gouvernement égyptien considère le Hamas comme une excroissance de l’organisation des Frères musulmans, qui est interdite en Égypte. L’Égypte participe donc aussi au blocus de Gaza afin d’empêcher les militants du Hamas de s’infiltrer dans le pays.

L’Égypte a également ses propres difficultés. Sa situation économique est désastreuse et ses préoccupations en matière de sécurité sont de plus en plus importantes. Le gouvernement égyptien ne veut tout simplement pas en rajouter et aggraver ses problèmes intérieurs. Il n’est donc pas intéressé par une solution qui lui imposerait de prendre en charge la population palestinienne. Cela étant dit, le président al-Sissi a clairement indiqué que, quelle que soit l’issue de cette guerre, il était indispensable d’établir un cadre qui permettrait de parvenir à une solution au conflit israélo-palestinien, sans quoi ce n’est qu’une question de temps avant que cette guerre n’en appelle une autre.

Une période de transition pour Gaza sous la surveillance de l’ONU
Le troisième scénario est peut-être une solution plus viable ; il comporterait une période de transition durant laquelle les Nations Unies assumeraient la responsabilité de Gaza. Comme chacun sait, au niveau administratif, l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) se trouve sur le terrain depuis plusieurs décennies. Il fournit de l’aide et des services de développement, notamment dans les domaines de l’éducation, des soins de santé, de la microfinance et de la formation professionnelle. S’il n’intervient pas directement dans le fonctionnement de Gaza en soi, l’UNWRA connaît très bien sa situation. Il est au courant des besoins de sa population, des conditions socio-économiques propres à cette zone et des problèmes quotidiens que les Gazaouis rencontrent. L’UNRWA est le mieux placé pour assumer une plus grande responsabilité dans le cadre d’un mandat modifié et élargi, pour peu qu’il reçoive le personnel et les fonds nécessaires.

En plus des nouvelles responsabilités administratives de l’UNRWA, il sera nécessaire de mettre en place une force de maintien de la paix chargée de la sécurité. Celle-ci doit se composer exclusivement d’États arabes en paix avec Israël, à savoir les Émirats arabes unis, l’Arabie saoudite, la Jordanie, Bahreïn, le Maroc et l’Égypte.

Il est important de préciser que, si la Cisjordanie et la bande de Gaza doivent être gouvernées par l’Autorité palestinienne (AP) une fois le Hamas vaincu, cela ne doit pas se produire, et ne peut d’ailleurs pas se produire, au moins un an ou 18 mois après la mise en place d’une autorité administrative des Nations Unies à Gaza. Au cours de cette période, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza prépareront de nouvelles élections. L’AP actuelle est corrompue jusqu’à la moelle ; le président Mahmoud Abbas, rejeté et méprisé par la majeure partie de la population palestinienne, doit s’en aller. Seuls de nouveaux dirigeants, fraîchement élus et non corrompus, qui jouissent de la confiance de la population, peuvent réussir.

Du côté israélien, personne ne devrait attendre patiemment que Nétanyahou et sa bande de partenaires de coalition zélés se mettent d’accord sur la création d’un État palestinien. Dès que la guerre sera terminée, Nétanyahou devra répondre à une enquête sur cette catastrophe sans précédent qui a eu lieu durant son mandat et il devra démissionner ou être évincé. En Israël aussi, il faudra mettre en place un nouveau gouvernement, qui devra s’engager dès le départ en faveur d’une solution à deux États.

Lorsque ces deux conditions préalables seront remplies, l’autorité administrative des Nations Unies pourra reléguer son rôle et ses responsabilités à l’AP.

Les États arabes doivent s’engager à fournir une force de maintien de la paix à la seule condition qu’Israël accepte une solution à deux États. Lorsque cette force de maintien de la paix sera créée, le processus de maintien de la paix devra donc véritablement commencer à cette fin. Les éventuelles solutions intermédiaires ne doivent servir que de moyens pour parvenir à une résolution finale, sans quoi il ne s’agit que de répits dans l’attente d’une nouvelle catastrophe.

Le rôle des États-Unis et de l’Arabie saoudite
L’Arabie saoudite et les États-Unis peuvent jouer un rôle majeur et même indispensable à cet égard :

Les États-Unis constituent et demeurent les garants ultimes de la sécurité nationale d’Israël. Le président Biden a fait plus que n’importe lequel de ses prédécesseurs à cet égard et l’a montré sans aucune équivoque par son soutien indéfectible à Israël. Il doit indiquer très clairement à Nétanyahou ou à son successeur (et il est bien placé pour le faire) que ce soutien indéfectible comporte un coût politique considérable pour les États-Unis, à l’échelle nationale et sur la scène internationale. Dans de nombreux pays du monde, les États-Unis sont considérés comme des complices de l’horreur qui se joue à Gaza. Le président Biden doit mettre en place le cadre d’une solution à deux États, qu’il préconise depuis plusieurs décennies.

Il faudra certainement plus d’un an pour mener à bien le processus de négociation de la paix. L’année 2024 sera une année électorale aux États-Unis, mais, quelle que soit l’identité du prochain président, Joe Biden devra s’en tenir aux plans, car un nouveau brasier israélo-palestinien impliquera inévitablement les États-Unis. Le temps est venu pour les États-Unis de mettre le holà, de ne plus donner carte blanche à Israël, quoi qu’il fasse, et de ne lui accorder un soutien, financier et militaire, qu’à condition que l’État hébreu consente à de véritables efforts pour mener des négociations de bonne foi et parvenir à un accord de paix.

L’Arabie saoudite peut apporter un complément à l’initiative des États-Unis en jouant un rôle de premier plan, celui de tirer parti de la rupture des relations israélo-palestiniennes et de proposer une avancée inédite pour mettre fin au conflit. Les Saoudiens doivent préciser que, lorsque la guerre sera terminée, ils seront prêts à normaliser les relations avec Israël à condition qu’un nouveau gouvernement israélien accepte une solution à deux États et continue de négocier jusqu’à ce qu’un accord soit conclu.

Cette guerre doit cesser. Le Hamas sera profondément affaibli et en déroute. Sa défaite ultime ne se fera toutefois pas sur le champ de bataille. Il ne sera vaincu que lorsqu’un autre modèle de gouvernance sera proposé, un système de gouvernance dont les Palestiniens pourront profiter au premier chef. Ce contraste doit être établi clairement et sans tarder afin de montrer aux Palestiniens que le Hamas est l’ennemi non seulement d’Israël, mais aussi de la population palestinienne. Tous les Palestiniens de Gaza veulent vivre dans la paix et la prospérité, mais ne peuvent mener une vie normale à cause du Hamas qui résiste avec violence à Israël, dilapidant toutes les ressources pour combattre l’État hébreu tout en laissant la population désespérée et sans espoir.

Israël ne doit pas prolonger cette guerre tragique, ne serait-ce que d’un seul jour. En effet, si elle se poursuit encore pendant un mois ou deux, 20 000 à 30 000 Palestiniens et Palestiniennes, pour la plupart des civils innocents, ainsi que des dizaines de soldats israéliens seront tués à coup sûr. Les morts et destructions effroyables qui se poursuivent à Gaza et les pertes du côté israélien ne feront que renforcer la haine, l’hostilité et la méfiance entre Israéliens et Palestiniens et compliquer davantage la recherche d’une solution au conflit.

Il faut que chaque membre de la population israélienne se pose cette question douloureuse : voulons-nous nous souvenir de la mort de 1 400 Israéliens innocents massacrés par le Hamas en tuant, même par inadvertance, 20 000 Palestiniens ? Est-ce ainsi que les victimes israéliennes doivent être commémorées ? Chaque Israélien se doit d’y réfléchir.

Oui, Israël peut gagner et gagnera toutes les batailles contre le Hamas, mais la guerre sera perdue à moins d’entamer un processus de paix sous les auspices des États-Unis et de l’Arabie saoudite, un processus qui doit déboucher sur une solution à deux États.


Pour en savoir plus sur la manière de parvenir à un accord de paix durable fondé sur une solution à deux États, je vous invite à consulter mon essai publié dans la revue World Affairs, « The Case for an Israeli-Palestinian-Jordanian Confederation: Why Now and How? » (Les enjeux d’une confédération entre Israël, les Palestiniens et la Jordanie : pourquoi maintenant et de quelle façon ?)

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