Décertifier l’accord iranien : une décision imprudente et dangereuse
La décertification du Plan d’action global commun (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA) par Donald Trump est tout à fait regrettable. Le président français Emmanuel Macron et la chancelière allemande Angela Merkel n’ont visiblement pas réussi à convaincre Donald Trump de préserver l’accord iranien. Ce dernier semble, au contraire, avoir suivi les conseils du Premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou qui préconisait la décertification de l’accord, alors même que l’Iran continue de respecter pleinement l’ensemble de ses dispositions. Ni Trump ni Nétanyahou ne semblent avoir compris les conséquences régionales et internationales désastreuses qui s’ensuivront si les États-Unis refusent de certifier le JCPOA, ce qui constitue un réel danger.
En janvier, le président américain a donné à la Grande-Bretagne, à la France et à l’Allemagne une échéance irréaliste – le 12 mai – pour réparer ce qu’il considère comme des erreurs, notamment les clauses de temporisation aux termes desquelles certaines modalités expirent, le programme de missiles balistiques de l’Iran (qui ne faisait pas partie de l’accord), et le contrôle des sites nucléaires iraniens suspects. C’était mission impossible sans le soutien de la Russie et de la Chine, sans parler du délai trop court.
Le coup d’éclat de Nétanyahou, qui a affirmé disposer de milliers de nouvelles preuves d’un programme secret iranien pour se doter de l’arme nucléaire, n’est pas un phénomène nouveau. Ce n’est pas parce qu’il prétend que le JCPOA s’est fondé sur des informations alors inconnues que cela justifie sa décertification, d’autant plus que l’Iran respecte pleinement toutes les dispositions du Plan d’action.
La principale raison pour laquelle le président Obama s’est efforcé de conclure cet accord était d’empêcher l’Iran de poursuivre son programme d’armes nucléaires. La Haute Représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Federica Mogherini a déclaré à Bruxelles que « l’accord avait été mis en place précisément parce que les parties ne se faisaient nullement confiance… » et le secrétaire à la Défense James Mattis s’est dit du même avis, et d’ajouter que « la [procédure] de vérification… était en fait assez robuste en ce qui concerne notre capacité intrusive pour vérifier que l’Iran n’essaie pas de tricher ».
Le Plan d’action global commun est certes loin d’être parfait, mais il peut être impossible de s’en défaire et de partir de zéro, surtout quand on sait que l’Iran refuse catégoriquement de le modifier, comme l’a précisé le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Javad Zarif : « nous n’externaliserons pas notre sécurité, ni ne renégocierons ou compléterons un accord que nous avons déjà mis en œuvre de bonne foi. »
La décertification du JCPOA obligera l’Iran à choisir entre deux options. La première est de tirer parti de la division entre les États-Unis et les autres signataires. Dans ce cas, Téhéran pourrait continuer de respecter les dispositions de l’accord, même si l’Iran souffrira encore des sanctions unilatérales (mais plus aussi sévères) des États-Unis. En vertu de la législation américaine, Trump doit attendre au moins 180 jours avant d’imposer ses sanctions les plus strictes, visant notamment les banques des pays qui ne réduisent pas sensiblement leurs achats de pétrole auprès de l’Iran.
La deuxième option pour l’Iran est de se retirer complètement de l’accord, de relancer son programme nucléaire, et même, éventuellement, de se retirer du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) afin d’empêcher l’Agence internationale de l’énergie atomique de surveiller son programme nucléaire, la pire chose qui puisse arriver à Israël et aux alliés des États-Unis dans la région.
Les désavantages majeurs de la décertification
Premièrement, la plupart des observateurs sont d’accord pour dire que l’Iran reprendrait son programme d’armement nucléaire, ce qui entraînerait rapidement la prolifération d’armes nucléaires au Moyen-Orient. La relance du programme iranien exacerberait également les tensions régionales et ferait naître un sentiment grandissant d’insécurité au sein des autres pays de la région, ce qui est le plus sûr moyen de susciter de nouveaux conflits violents et d’intensifier encore plus ceux qui font déjà rage.
Deuxièmement, au vu de l’hostilité intense qui règne entre Israël et l’Iran, le gouvernement israélien pourrait bien décider d’attaquer de façon préventive les installations nucléaires de l’Iran avant que Téhéran n’atteigne le point de non-retour. Cette situation conduirait plus que probablement à une guerre entre l’Iran et Israël et entraînerait d’autres pays, dont les États-Unis, dans la mêlée, ce qui aurait des répercussions désastreuses aux quatre coins du Moyen-Orient.
Troisièmement, une telle évolution renforcerait par ailleurs la décision de l’Iran de s’incruster davantage en Syrie, ce qu’Israël cherche précisément à éviter. Cela incitera également Israël, comme par le passé, à attaquer les installations militaires de l’Iran en Syrie, ce qui pourrait aussi dégénérer en conflit régional.
Quatrièmement, l’Iran aura toutes les raisons d’accélérer son programme de missiles balistiques, qui présente un danger encore plus grand non seulement pour Israël, mais pour tous les alliés des États-Unis dans la région. En outre, l’Iran sera davantage incité à accroître le soutien financier qu’il apporte aux groupes extrémistes afin de déstabiliser la région qu’il exploite et qu’il continuera d’exploiter.
Cinquièmement, le retrait unilatéral des États-Unis de l’accord iranien provoquera assurément un schisme avec leurs alliés ainsi qu’avec la Russie et la Chine et pourrait éliminer toute possibilité de modifier l’accord, ce que Trump n’a pas voulu envisager.
Enfin, la crédibilité des États-Unis sera sérieusement ternie tant chez leurs alliés que chez leurs ennemis, surtout à l’heure actuelle, alors que les États-Unis s’apprêtent à conclure un accord sur la dénucléarisation avec le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un, qui aurait alors une raison légitime de douter de tout engagement américain à respecter de futurs accords.
Les avantages si l’accord avait été maintenu
Les menaces perçues par l’Iran viennent de son sentiment d’encerclement, qui l’oblige à adopter une politique défensive. Je pense donc que l’Iran aurait été disposé à renégocier diverses dispositions de l’accord pour l’empêcher d’acquérir des armes nucléaires, maintenant ou à l’avenir, à condition d’avoir l’assurance que le nouvel accord préserverait d’abord et avant tout le régime, et pourvu que les États-Unis s’engagent à ne pas essayer de changer son régime ni aujourd’hui ni demain.
Étant donné qu’il y a six signataires à l’accord (en plus de l’Iran) et qu’il reste encore sept ans avant que la première clause de temporisation n’expire, Trump et les alliés européens des États-Unis auraient pu déployer tous les efforts nécessaires pour convaincre la Russie et la Chine de coopérer pleinement. Les deux puissances auraient soutenu cette révision, car aucune d’entre elles ne voulait voir les États-Unis se retirer de l’accord ou l’Iran mettre la main sur des armes nucléaires.
Cette situation aurait forcé l’Iran à prendre au sérieux la demande de révision collective, de peur qu’autrement des sanctions paralysantes conjointes ne soient de nouveau imposées, ce que Téhéran cherche à éviter à tout prix. Ensemble, ils auraient pu exercer une influence bien plus grande sur l’Iran pour modifier le Plan d’action et atténuer les craintes des États-Unis et de leurs alliés régionaux.
Les nouvelles négociations ne se seraient pas limitées à la « réparation » de l’accord actuel, elles auraient également permis à l’Iran de normaliser ses relations avec l’Occident. L’Iran existe et existera toujours. Les États-Unis et le reste de la communauté internationale sont en droit d’exiger que l’État iranien mette un terme à toutes ses activités malveillantes dans la région. De même, l’Iran a aussi le droit de se gouverner comme il l’entend, sans crainte et sans intimidation.
La révision de l’accord iranien aurait fourni une occasion en or de changer la dynamique régionale, tant que l’Iran se montre prêt et disposé à jouer un rôle constructif pour stabiliser la région. Cela aurait dû être l’objectif général de cette quête pour une nouvelle entente globale et permanente.
Pour ce faire, Téhéran aurait sans doute été contrainte d’entamer des négociations concernant son programme de missiles balistiques dans le cadre d’un accord distinct ou conjointement aux nouvelles négociations pour modifier l’accord actuel. L’Iran aurait subi des pressions pour tempérer ses discours belliqueux, son soutien aux groupes extrémistes violents, ses campagnes de piratage informatique et pour mettre un terme à la création d’un réseau de partenaires et de mandataires – l’« axe de la résistance » – qui crée des tensions régionales et qui pourrait entraîner des affrontements armés.
L’Iran aurait par ailleurs été contraint d’apaiser les tensions régionales dans les pays où il se trouve directement ou indirectement impliqué, en prenant l’initiative de mettre fin aux guerres atroces au Yémen et en Syrie, et en tenant à distance le Hezbollah et les autres groupes extrémistes. Il aurait également été possible de persuader l’Iran de cesser ses menaces à l’égard d’Israël afin de faire retomber les tensions et d’empêcher une confrontation directe entre les deux pays, ce qu’ils veulent tous deux éviter en réalité.
Malgré la terrible erreur que constitue la décertification de l’accord iranien, Trump peut décider de le maintenir de façon artificielle en n’imposant pas immédiatement les sanctions et en donnant aux cinq autres puissances le temps nécessaire pour travailler ensemble avec l’Iran et parvenir à un nouveau plan d’action – un accord qui imprimera une nouvelle direction au Moyen-Orient et qui permettra peut-être d’apaiser les multiples conflits dans lesquels l’Iran joue un rôle central.
Dans le cas contraire, nous devons tous nous préparer à une aggravation des tourmentes qui secouent le Moyen-Orient, à cause de l’inconscience totale de Trump et de Nétanyahou qui ont tous deux échoué lamentablement à réaliser à quel point les conséquences de cette décision seront horribles.