Soixante-dix ans après la création d’Israël : un temps pour célébrer et un temps pour pleurer
- See the English translation
- See the Arabic translation
- See the Hebrew translation
- See the Spanish translation
Après soixante-dix ans d’existence, Israël a toutes les raisons de célébrer ses réussites remarquables. Tous les Israéliens peuvent d’ailleurs en être fiers, témoins qu’ils sont de la rédemption tant rêvée des Juifs, qu’ils ne pensaient pas un jour pouvoir atteindre. Les réalisations d’Israël dans différents domaines ont permis au pays de devenir une puissance mondiale ; il y est parvenu, une main liée dans le dos, alors qu’il menait plusieurs guerres, combattait l’extrémisme violent et rencontrait des difficultés économiques, luttant contre vents et marées pour survivre.
Malgré ces accomplissements extraordinaires, Israël demeure toutefois miné par son conflit ininterrompu avec les Palestiniens. Il souffre, au niveau national, de la polarisation sociale et politique et des disparités économiques, et risque de perdre son identité nationale juive. Le pays est consumé par un conflit interne et assiégé par un système politique dysfonctionnel, tandis que ses citoyens éprouvent un sentiment d’insécurité accru et s’inquiètent de leur avenir incertain.
Les réussites d’Israël sont d’une grande diversité et d’une portée assez vaste. En effet, aucun pays n’a su réaliser autant de choses dans tant de domaines d’étude en si peu de temps. Dans le domaine des sciences et des technologies, Israël a enregistré des avancées remarquables, rivalisant avec presque tous les pays, à l’exception des États-Unis. Les Israéliens ont remporté 12 prix Nobel dans plusieurs domaines, dont la chimie.
D’un point de vue économique, Israël, au départ tributaire de l’aide extérieure, est devenu un pays totalement indépendant qui a sextuplé son produit intérieur brut depuis sa création. Pour mettre en évidence les réussites économiques d’Israël, l’on peut comparer son PIB en 2016, qui s’élevait à 348 milliards de dollars, aux 333 milliards de dollars de PIB de l’Égypte qui compte près de 100 millions d’habitants.
En médecine, c’est en Israël que se trouve l’une des plus grandes sociétés pharmaceutiques du monde. Les scientifiques israéliens ont accompli des progrès considérables dans la recherche médicale, notamment sur la découverte de médicaments permettant de soigner la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson.
Israël a mis au point de grandes industries militaires et civiles qui concurrencent de nombreux pays européens. Le pays est également devenu une puissance nucléaire (un secret de Polichinelle) et s’est bâti l’armée la plus puissante du Moyen-Orient.
Les chercheurs universitaires israéliens ont fait œuvre de pionnier dans plusieurs domaines et le nombre de diplômés universitaires de l’État hébreu compte parmi les plus élevés des pays développés. En agriculture, ainsi qu’en matière de boisement, de conservation et de dessalement de l’eau, Israël a réalisé des percées significatives.
En dépit de ces succès inégalés, il y a beaucoup à déplorer en ce qui concerne l’incapacité d’Israël à faire face à ses multiples crises intérieures et étrangères. L’existence d’Israël est menacée, tandis que le pays souffre d’un malaise social et politique, érodant son tissu social et menaçant sérieusement sa viabilité en tant qu’État indépendant en paix et en sécurité.
La démocratie israélienne s’affaiblit à mesure que la liberté de la presse est de plus en plus soumise au bâillonnement et à la censure militaire. Les journalistes font souvent l’objet de restrictions en matière de déplacement et les médias financés par le gouvernement sont incités à présenter des informations pour le compte des politiques gouvernementales.
La corruption est omniprésente aux plus hauts niveaux du gouvernement et dans les entreprises. Le Premier ministre Benyamin Nétanyahou et ses prédécesseurs Ehud Olmert, Ariel Sharon et Ehud Barak, accusés d’avoir versé des pots-de-vin, ont tous été mis en examen, aux côtés de plusieurs ministres du gouvernement ; Olmert a d’ailleurs fini par purger une peine de prison.
La discrimination contre les Arabes israéliens et les Juifs à la peau plus foncée est un phénomène très répandu. La population israélienne est de plus en plus polarisée et le clivage politique ronge progressivement les fondements de la démocratie israélienne à mesure que l’expression « c’est eux ou nous » devient un mantra populaire.
Les institutions religieuses gagnent de plus en plus d’influence politique et excluent les Juifs américains et européens désireux de mettre en place une réforme religieuse à cause de leur fanatisme. La population se tourne vers les partis de centre droit, laissant peu de place aux libéraux pour articuler leur idéologie politique. Ceux-ci se retrouvent, au contraire, à adopter une grande partie des politiques de centre droit pour garder leur place dans le jeu politique.
Les Israéliens ont oublié leur propre histoire : chassés de leur foyer, confrontés à la discrimination, à l’expulsion et à la mort. En expulsant principalement les migrants africains qui fuient la famine et la guerre dans leur pays d’origine, Israël abandonne ses obligations morales.
D’un point de vue démographique, Israël risque de perdre sa majorité juive, notamment en raison d’une immigration décroissante, d’une émigration croissante et d’un plus faible taux de natalité par rapport aux Palestiniens. Bon nombre de jeunes Israéliens décident de quitter le pays essentiellement à cause des politiques menées par le gouvernement dans le cadre du conflit interminable avec les Palestiniens. De 1990 à 2014, plus de 526 000 personnes ont quitté Israël. Seulement 229 000 sont revenues.
Le plus lamentable dans tout ça, c’est qu’après soixante-dix ans d’existence, Israël est toujours hanté par un conflit permanent et persistant. Le pays a remporté de nombreuses guerres et batailles contre les Palestiniens, mais n’a pas gagné la paix.
Alors que les Israéliens célébraient lundi l’ouverture de l’ambassade américaine à Jérusalem, les festivités ont été noircies par la mort de plus de 60 Palestiniens à Gaza. Ils étaient venus manifester le long de la frontière avec Israël non tant en raison de l’inauguration de l’ambassade qu’en réaction aux conditions inhumaines dans lesquelles ils vivent depuis onze ans.
Gaza est une prison à ciel ouvert : peu de personnes peuvent y entrer ou en sortir. L’absence d’électricité et d’eau potable, les ressources très limitées et le chômage emplissent l’air de désespoir et d’abattement. Nombreux sont ceux qui se sont rendus à la frontière, prêts à mourir, n’ayant plus grand-chose à perdre.
La situation en Cisjordanie n’est guère mieux. La liberté de mouvement des Palestiniens est limitée, des raids nocturnes ont lieu fréquemment, le chômage est endémique et les expulsions, incarcérations et démolitions d’habitations palestiniennes sont monnaie courante. Sous l’occupation militaire, les violations de droits humains se font souvent en toute impunité. À cause de la haine, de l’hostilité et de la méfiance réciproques, les jours de réconciliation ne sont plus qu’un rêve lointain.
Le fait que ces conditions ahurissantes soient toujours d’actualité soixante-dix ans plus tard est tragique — une parodie aux proportions historiques.
Les Palestiniens ont leur part de responsabilité dans ces conditions misérables. Ils ont raté plusieurs occasions de résoudre le conflit et échoué encore et toujours, s’accrochant à leurs vieux discours fatigués, présentant des demandes insoutenables, résistant dans la violence et menaçant l’existence d’Israël, ce qui n’a fait qu’avantager les Israéliens de droite.
Tous les Israéliens doivent se rappeler qu’une solution à deux États n’est pas un cadeau aux Palestiniens. C’est la seule manière pour Israël de préserver son indépendance, sa démocratie et l’identité nationale juive de l’État. Hélas, les gouvernements israéliens préfèrent visiblement maintenir l’occupation des territoires palestiniens, construire de nouvelles colonies et étendre les colonies existantes que d’obtenir la paix.
Si Nétanyahou et son gouvernement sont réellement préoccupés par la menace existentielle de l’Iran, ils devraient se concentrer sur le front intérieur et régler le conflit avec les Palestiniens. Pourquoi ne pas affronter l’inéluctabilité de la coexistence maintenant et trouver une solution quand chaque jour, semaine, mois et année qui passe rend le conflit encore plus violent et insoluble ?
Certes, Israël a toutes les raisons de s’enorgueillir de ses réussites incroyables, mais tant que le pays reste entravé par l’occupation des territoires palestiniens, toutes ses réalisations ne signifient pas grand-chose. Le contexte actuel en Israël défie la vision de ses pères fondateurs — la vision d’une patrie juive vivant en paix avec elle-même et avec ses voisins ; un foyer prospère, progressiste et sûr qui offre un refuge aux Juifs, tout en respectant les principes moraux les plus stricts.
Aucune puissance militaire, aucune barrière, ni aucun mur n’offriront à Israël la sécurité et la sûreté tant recherchées. Seule la paix, forgée à partir d’une position de force, garantira la survie d’Israël et permettra de célébrer les futurs Jours de l’indépendance dans la joie et la fierté.