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novembre 12, 2018

Diyanet : la nouvelle marionnette au service d’Erdogan dans les Balkans

Alon Ben-Meir et Arbana Xharra

Un panneau d’affichage a récemment été dressé sur un site de construction dans le centre de Pristina, la capitale du Kosovo. Ce panneau affiche la photographie d’une mosquée de style ottoman ornée de quatre minarets et d’un drapeau turc. Avec ses deux millions d’habitants, le Kosovo, qui a déclaré son indépendance de la Serbie en 2008, abrite pas moins de 800 mosquées. À l’heure actuelle, la Communauté islamique du Kosovo est en train de construire la « Mosquée centrale » au coût estimé de 35 à 40 millions de dollars. La Présidence turque des affaires religieuses (Diyanet) finance ce projet.

La Diyanet a également financé la construction d’une mosquée similaire sur une parcelle de terrain de 10 000 mètres carrés située rue George W. Bush à Tirana en Albanie – la plus grande mosquée des Balkans – ainsi que des dizaines d’autres mosquées dans les pays voisins. Le président turc Recep Tayyip Erdogan se sert de deux organisations étatiques, la Diyanet et l’Agence turque de coopération et de développement (TİKA), pour renforcer l’influence islamique de la Turquie dans les Balkans.

La Diyanet est l’institution publique officielle qui a pour mission de « s’occuper des activités liées aux croyances de la religion de l’Islam, d’éclairer la société sur la religion, le culte et la morale de l’Islam et de gérer les lieux de culte ». La Diyanet est également chargée des affaires religieuses de la diaspora turque. Rien qu’en Allemagne, elle gère 970 mosquées, dont les imams sont formés par cette organisation.

L’Autriche a été le premier pays à se rendre compte que les mosquées érigées avec l’argent d’Erdogan étaient utilisées à des fins politiques en vue de promouvoir son programme islamique. En juin 2018, le chancelier autrichien Sebastian Kurz a ordonné la fermeture de sept mosquées construites par la Diyanet ainsi que l’expulsion de 60 imams ayant des liens avec la Turquie et de leur famille dans le cadre de son « combat contre l’islam politique ».

En février 2016, les forces de l’ordre allemandes ont révélé que plusieurs religieux de l’organisation étaient impliqués dans des activités d’espionnage dirigées contre des partisans du prédicateur Gülen. Il y a deux ans, le journal indépendant turc Cumhuriyet avait rapporté que la Diyanet s’employait activement à recueillir des renseignements, en particulier sur les activités des sympathisants du mouvement Gülen dans 38 pays d’Europe, dont l’Allemagne et les Balkans. Les accusations d’espionnage portées contre l’organisation existent depuis les années 1990, mais ces révélations font état d’opérations beaucoup plus étendues qu’on ne le pensait.

Entre-temps, la Diyanet a étendu son programme religieux aux pays dont les liens avec l’histoire ottomane sont fragiles en faisant bâtir plus de 100 mosquées en dehors de la Turquie. Le président de la Diyanet, Ali Erbaş, a déclaré que la Présidence des affaires religieuses entretenait des relations extrêmement fortes avec les pays des Balkans et a précisé que cette coopération se poursuivrait à l’avenir, en particulier en ce qui concerne l’éducation, les services et les publications dans le domaine religieux. Il a souligné l’importance et l’affinité de la Turquie pour les Balkans, en ajoutant : « les Balkans occupent une place particulière dans notre cœur. Nos liens historiques se poursuivront, comme par le passé ».

Il est ironique de constater que, tandis que les pays des Balkans souffrent du chômage, du manque d’investissements étrangers et d’une pauvreté galopante, les investissements d’Erdogan sont quant à eux axés sur les mosquées et les établissements d’enseignement religieux. Le taux de chômage du Kosovo s’élève pourtant à 30 %.

L’ancien ambassadeur du Kosovo en Suède et directeur exécutif de l’Institut kosovar pour la recherche et le développement politique (KIPRED) Lulzim Peci est l’un des principaux détracteurs du programme islamique politique d’Erdogan au Kosovo. Il estime lui aussi que les mosquées érigées au Kosovo sont des établissements politiques dont le rôle est de mettre en avant la vision islamiste d’Erdogan. « En ce qui concerne le Kosovo et l’Albanie, les dizaines de millions de dollars investis dans la construction de mosquées ont un rapport avec le symbole de la suprématie et de l’influence turque, tant sur le plan religieux que politique », explique Lulzim Peci.

Les investissements considérables d’Erdogan dans le symbolisme ottoman sont destinés à influencer l’état d’esprit des habitants du Kosovo et à renforcer les sentiments pro-islamistes turcs des générations d’aujourd’hui et de demain. L’idéologie islamique que la Diyanet promeut a suscité une large indignation, même en Turquie. La Diyanet a déclaré que les filles pouvaient tomber enceintes et, par conséquent, se marier à l’âge de neuf ans, et les garçons à douze ans. Ainsi, les préoccupations concernant les activités de la Diyanet ne se limitent pas à la construction de mosquées. Elles portent également sur son influence culturelle et sociétale fondée sur l’islam radical.

Le lendemain de la tentative de coup d’État en Turquie, des foules d’Albanais et de Bosniaques en Macédoine, en Bosnie, en Albanie et au Kosovo ont manifesté leur soutien à Erdogan et à son gouvernement. « Ces événements ont clairement démontré le potentiel et les mécanismes dont dispose Erdogan dans les Balkans et dans la diaspora, qu’il exploite et utilise quand il le veut », affirme l’historien Xhemal Ahmeti, spécialiste des questions relatives à l’Europe du Sud-Est.

« Malheureusement, les mosquées albanaises confirment donc la thèse de l’experte suisse de l’islam Saïda Keller-Messahli, qu’elle décrit dans son livre intitulé “La Suisse, plaque tournante de l’islamisme”. Selon elle, les mosquées albanaises sont en réalité des centres radicaux au service de ce type de programme islamique pour la radicalisation des musulmans albanais en faveur des politiques d’Erdogan », explique Xhemal Ahmeti.

D’après le journaliste kosovar spécialisé dans les affaires religieuses Visar Duriqi, avec ce projet de construction de mosquée grâce aux fonds avancés par la Turquie, Erdogan envoie un message politique clair : il contrôle cette région. « Le Kosovo, explique Visar Duriqi, est un pays qui n’a pas besoin de plus de bâtiments religieux, et certainement pas de ceux financés par Erdogan. »

Les mosquées sont de plus en plus utilisées pour diffuser les idéologies islamiques politiques à un point tel qu’il ne reste presque plus de place pour de véritables prières. « Il ne s’agit plus de savoir si ces établissements sont nécessaires, car l’objectif est d’en construire le plus possible pour consolider l’influence politique des pays du Moyen-Orient et de la Turquie d’Erdogan », affirme le grand journaliste d’investigation macédonien Xhelal Neziri.

Dans les pays des Balkans à majorité chrétienne, tels que la Serbie, la Macédoine et la Croatie, la Turquie investit dans de grands projets de développement, tandis qu’en Albanie, les investissements se concentrent essentiellement sur la construction d’établissements islamiques. « Il a été démontré que l’influence la plus puissante et la plus durable dans cette région, en particulier chez les Albanais, venait précisément de l’instrumentalisation de la région », explique Xhelal Neziri.

Une chose est sûre, quiconque suit, même à peine, les ambitions d’Erdogan dans la région des Balkans ne peut se soustraire à la conclusion suivante : le dirigeant turc a un programme islamique spécifique et bien articulé qu’il est déterminé à enraciner dans l’esprit des peuples des Balkans en construisant des mosquées et en nommant des imams qui suivent sa doctrine. Cela fait partie intégrante de la vision d’Erdogan de rétablir les éléments de l’Empire ottoman sous sa direction.

Erdogan lui-même et de nombreux autres représentants turcs ont parlé ouvertement de leur rêve que d’ici 2023, année du centenaire de la Turquie moderne, le pays jouisse d’autant de rayonnement et d’influence qu’au temps de l’Empire ottoman. La Diyanet constitue l’une des principales marionnettes d’Erdogan à cette fin.

Pour les États des Balkans, cette situation tournera certainement au cauchemar, à moins qu’ils n’empêchent Erdogan de les exploiter au nom d’Allah, en dévalorisant l’Islam au service de son dangereux complot à long terme.

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