All Writings
août 25, 2017

Comment sortir de la crise humanitaire en Irak

L’Irak, autrefois berceau de la civilisation, connaît aujourd’hui l’un des conflits les plus atroces de l’histoire contemporaine, un conflit défiant tout semblant d’humanité civilisée. Il est difficile de s’imaginer le nombre gigantesque de morts et de destructions que les puissances étrangères et le terrorisme intérieur ont infligé au peuple irakien. Pourtant le pays est encore capable de surmonter les horreurs de ces quatorze dernières années, si ses dirigeants réévaluent correctement l’évolution des dynamiques nationale et régionale et s’ils consentent à ce que tous les Irakiens, peu importe leur secte ou leur orientation culturelle, puissent choisir leur propre structure civile et politique.

Depuis l’invasion de l’Irak par les États-Unis et leurs alliés en 2003, 500 000 civils ont trouvé la mort. Depuis 2006, 40 000 attaques terroristes ont été recensées, avec une moyenne de 7100 décès par an. Près de 225 000 Irakiens sont devenus des réfugiés, et 3,1 millions d’individus ont été déplacés à l’intérieur du territoire. La destruction des infrastructures et les bouleversements socio-économiques ont entraîné une famine et des maladies généralisées, en particulier chez les dizaines de milliers d’enfants vulnérables et souffrant de malnutrition. Cette dévastation humaine et matérielle a débouché sur la montée de l’État islamique qui continue de ravager le pays, tandis que les actes de terrorisme aveugle entre les sunnites et les chiites se poursuivent sans relâche.

Cette tragédie se joue alors que le gouvernement et le peuple irakien continuent de dépérir dans l’ombre de la mort et de la ruine, errant dans le désert politique à la recherche d’idées pour recoller les morceaux de leur pays après la défaite de l’État islamique. Néanmoins, ces efforts pourraient bien n’être qu’un exercice futile.

Le gouvernement d’Al-Abadi ignore que les Kurdes irakiens sont sur le point d’établir leur propre État indépendant à l’issue du prochain référendum à la mi-septembre, que les sunnites refuseront le statu quo ante et qu’ils ne se soumettront plus jamais aux caprices d’un gouvernement chiite à Bagdad.

N’ayant que trop souffert d’actes de discrimination, d’oppression et de violence gratuite à leur encontre, en particulier au cours des huit années du gouvernement Maliki, les sunnites ont depuis longtemps conclu que leur bien-être futur dépendrait de leur volonté et de leur capacité à se gouverner eux-mêmes. Ils sont déterminés à suivre les traces de leurs homologues kurdes en établissant une forme d’autonomie comme condition préalable à toute fin des hostilités entre sunnites et chiites.

Le massacre entre ces deux camps, dont les premières escarmouches datent de la fin de la guerre de 2003, continue de faire rage, entraînant la mort de centaines de personnes chaque semaine. Il est peu probable que les tensions s’atténuent tant que : a) le gouvernement irakien et les puissances extérieures, dont les États-Unis, demeureront bercés par l’illusion du maintien de l’unité géographique de l’Irak ; et que b) l’Iran chiite et l’Arabie saoudite sunnite protégeront leurs intérêts géostratégiques en se livrant une guerre par procuration dans cette région qu’ils veulent dominer.

À bien des égards, la montée de l’État islamique ainsi que le contrôle qu’il exerce sur la quasi-totalité des trois provinces sunnites renforcent la détermination des sunnites à se battre pour leur indépendance vis-à-vis de toute puissance intérieure ou extérieure. Outre les actes de maltraitance monstrueux qu’ils ont subis sous le gouvernement Maliki, les sunnites ont fait les frais des méthodes horribles et brutales de l’État islamique.

Les enfants ont été les plus touchés, témoins de la barbarie de l’État islamique en temps réel. Enrôlés afin de commettre les crimes les plus haineux, des centaines de milliers d’enfants ont été traumatisés, contraints d’assister à des décapitations et au traitement horrible d’innocents « soupçonnés » d’avoir commis de petits délits.

La libération de Mossoul offre un nouveau départ pour bâtir un avenir prometteur à l’Irak. À cet égard, je soutiens que la force de l’Irak repose sur les trois principales sectes devenant d’abord politiquement indépendantes les unes des autres. Le gouvernement central doit soutenir la création d’une entité sunnite indépendante et modifier la constitution afin de prendre en compte les nouvelles divisions territoriales et politiques.

Sur le plan interne, le gouvernement irakien doit lutter contre la corruption endémique qui consomme près d’un tiers des revenus du pays, mettre en place un système judiciaire juste et impartial, s’engager sur la voie du développement économique, et s’abstenir d’empiéter sur les affaires intérieures ou extérieures des Kurdes et des sunnites, que ces derniers tentent de remettre en ordre.

Comme les trois provinces des sunnites ne possèdent pas de pétrole, leur développement économique dépend de l’obtention de leur part de revenus grâce à l’adoption de la loi sur le pétrole, escomptée de longue date. La nouvelle entité sunnite aurait par ailleurs besoin du soutien financier des États du Golfe, des États-Unis et de l’UE pour devenir une entité viable.

Le gouvernement central à majorité chiite ne doit pas prendre les sunnites en otage en leur refusant leur part légitime, les empêchant de créer leur propre État. Ce serait courir à un désastre sanglant et à une destruction qui ne feraient qu’approfondir le gouffre entre eux, au détriment de l’avenir du pays.

Les avantages de ce plan d’action sont considérables. Il aura en effet un impact direct sur la stabilité future de l’Irak et permettra de mettre un terme à la guerre par procuration que se livrent l’Arabie saoudite et l’Iran, lorsque ces deux États réaliseront que ni l’un ni l’autre ne peuvent changer la réalité de cette coexistence sunnite-chiite, tant en Irak que chez ses pays voisins. Cet arrangement permettrait aussi d’atténuer la menace iranienne, que les États du Golfe et Israël considèrent comme une source de tension régionale et de conflit violent.

En outre, il permettrait de réduire considérablement l’organisation d’activités militantes, de renforcer la stabilité régionale et d’entamer un processus de paix et de réconciliation visant à couper court aux vengeances et châtiments qui s’ensuivraient inévitablement, au vu des actes de violence atroces que ces différents camps se sont infligés ces quatorze dernières années.

Ce n’est que lorsque les sunnites auront établi leur propre entité et bâti l’infrastructure d’un État indépendant qu’ils se sentiront valorisés et confiants pour collaborer étroitement sur un pied d’égalité avec les Kurdes et les chiites, préparant ainsi le terrain pour la création d’une confédération entre eux.

À ce stade précoce, le rôle des États-Unis est essentiel. Ils doivent en effet soutenir la création d’une entité sunnite indépendante, maintenir quelques troupes durant la période de transition, entraîner et équiper le personnel de sécurité, maîtriser les groupes extrémistes et orienter les sunnites dans l’élaboration d’une structure politique cohérente avec leurs croyances, leur culture et leurs attentes.

Il ne fait aucun doute que la mort et la destruction qui règnent en Irak depuis ces quatorze dernières années doivent cesser. Les enfants sont les plus touchés par ce conflit ; ceux-ci souffrent de malnutrition, de maladies et de mise à l’écart. Ils en garderont des cicatrices psychologiques toute leur vie. Des dizaines de milliers d’enfants auront perdu la vie et autant de jeunes seront devenus orphelins, sans comprendre le pourquoi du comment de ce qui leur est arrivé.

Il est grand temps de mettre fin à cette tragédie irakienne. La réconciliation et les perspectives d’un avenir meilleur et prometteur sont entre les mains du peuple irakien lui-même. C’est à lui de surmonter le sectarisme et de tracer son propre destin.

TAGS
Non classé
SHARE ARTICLE