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novembre 10, 2017

Il est temps de mettre la Turquie à la porte de l’OTAN

Les violations flagrantes de la liberté de la presse en Turquie ont pris des proportions gigantesques. L’État turc compte désormais parmi les nations les plus oppressives pour les journalistes. Il est encore plus triste de constater que les États-Unis et l’Union européenne, qui défendent la liberté de la presse comme l’un des principaux piliers de la démocratie, laissent en grande partie au président turc Recep Tayyip Erdogan la liberté d’écraser la liberté de la presse, ainsi que la liberté d’expression et les manifestations pacifiques.

N’est-il pas curieux que la Turquie, pourtant membre de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN), enfreigne toutes les dispositions du traité fondateur de l’OTAN relatives aux droits de l’Homme ? Les États membres de l’OTAN sont en effet tenus de « sauvegarder la liberté de leurs peuples, leur héritage commun et leur civilisation, fondés sur les principes de la démocratie, les libertés individuelles et le règne du droit. » À l’évidence, Erdogan s’est donné le droit de tourner ces principes en dérision sans s’attirer de réprimande notable de la part des autres membres de l’OTAN.

Il est temps d’envisager l’expulsion de la Turquie hors de l’OTAN, peu importe la difficulté et la complexité de cette mesure lourde de conséquences. La Turquie a depuis longtemps renoncé aux valeurs occidentales, préférant devenir un État islamique de plus en plus zélé. En effet, contrairement aux propos manipulateurs d’Erdogan au sujet de la soi-disant démocratie turque, le pays, sous son mandat, est gouverné par un régime autoritaire qui n’a pas sa place parmi les démocraties occidentales.

Les violations de la liberté de la presse et le gommage systématique des droits de l’Homme exigent que les pays occidentaux reconsidèrent leurs relations avec la Turquie et cessent de chercher des excuses pour justifier leur présomption par rapport à l’attitude outrageante d’Erdogan. Voici un exposé de la suppression des valeurs démocratiques et des graves violations de la liberté de la presse commises par le président turc :

La Turquie est devenue le numéro un mondial de l’incarcération des journalistes. Le Stockholm Center for Freedom (Centre de Stockholm pour la Liberté), organisme de défense basé en Suède, signale que depuis juillet 2017, le gouvernement turc a arrêté 228 journalistes et qu’il en a condamné vingt-cinq autres. La Turquie occupe la 155e place, sur 180 pays, dans le classement mondial 2017 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.

Le président Erdogan a presque réduit au silence tous les médias qui ont osé examiner ses politiques, en particulier ses mesures de répression à l’égard de ceux qu’il perçoit comme des ennemis. Il prive donc systématiquement le peuple turc des sources d’informations impartiales provenant de la radio, de la télévision et des journaux nationaux.

Il se sert du système judiciaire pour poursuivre les journalistes sur de fausses accusations de terrorisme, d’insultes à l’encontre du président, ou de crimes contre l’État, fabriqués de toutes pièces. De nombreux journalistes ont été accusés et reconnus coupables d’avoir déclaré que le gouvernement fournissait des armes à l’État islamique, alors que c’est précisément ce que le gouvernement a fait, en plus de fermer les yeux sur le pétrole de l’État islamique introduit illégalement dans le pays.

Erdogan fait régulièrement pression sur divers médias pour qu’ils licencient les journalistes qui se hasardent à écrire des pamphlets sur le gouvernement, comme ceux qui travaillaient pour le quotidien Cumhuriyet. Le journalisme d’investigation est considéré comme un acte de trahison envers l’État, sabotant ainsi tout effort journalistique visant à enquêter sur les actes répréhensibles commis par des fonctionnaires, surtout au vu du nombre galopant d’affaires de corruption impliquant plusieurs ministres ainsi que le propre fils du président turc.

Erdogan a décidé de fermer ou de prendre les rênes de plusieurs médias privés, notamment Feza Publications (société mère de Zaman et Cihan), et, dans de nombreux cas, il a affecté des administrateurs aux médias, ce qui est absolument illégal et contraire à la propre constitution de la Turquie, qu’il a eu tant de peine à faire adopter.

Bon nombre de magnats des affaires turcs, qui apportent des fonds importants à certains médias, bénéficient de grands projets de construction dans le centre-ville en échange de bien vouloir contrôler leurs journalistes et leur interdire de formuler des critiques à l’égard du gouvernement.

Erdogan cible fréquemment les journalistes et les médias associés au mouvement Gülen, que le gouvernement accuse d’être une organisation terroriste. Human Rights Watch rapporte que le président turc a fermé près de 170 médias et maisons d’édition en vertu de la loi sur l’état d’urgence promulguée au lendemain de la tentative manquée de coup d’État militaire en juillet 2016, portant ainsi gravement atteinte à tous les principes de droits de l’Homme et de l’État de droit.

Erdogan cible en particulier les journalistes kurdes ainsi que les militants politiques prokurdes qui expriment leur soutien en faveur des droits des Kurdes : d’éminents universitaires et maires ont notamment été accusés d’entretenir des liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). En réalité, aucun des accusés n’a commis d’acte répréhensible. Il s’agit d’arrestations arbitraires sans aucun semblant de légitimité.

Le président turc a réprimé la liberté de la presse, mais il a aussi étouffé la liberté d’expression en général. D’après le Rapport de transparence de Twitter, Erdogan a exigé que Twitter supprime tous les messages offensants à son égard. Sur les 33 593 comptes déclarés en 2016, plus de 23 000 ont été signalés par le gouvernement turc, soit plus que tous les autres pays réunis.

Par crainte de représailles de la police, même les médias privés n’osent plus traiter de quoi que ce soit qui ne serait pas au goût du gouvernement, y compris les manifestations ou les accrochages liés au problème kurde. L’autocensure des journalistes est devenue monnaie courante ; ceux-ci s’efforcent désormais de calmer leurs collègues qui tentent de défendre les valeurs éthiques fondamentales du journalisme.

Étant donné que la manifestation publique constitue une autre forme de liberté d’expression, Erdogan veille à ce qu’aucune manifestation n’ait lieu sans son accord spécifique. En 2015, un projet de loi a été adopté, permettant à la police de recourir à une force excessive pour réprimer les manifestations et incarcérer les participants à des manifestations interdites pendant 48 heures, soi-disant pour maintenir l’ordre public. Les manifestants qui portent des masques complets, ou même des demi-masques, sont passibles d’une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement, surtout s’ils sont accusés de faire de la propagande pour des organisations terroristes.

Des journalistes sont poursuivis pour avoir simplement plaidé en faveur de la reprise des pourparlers de paix avec le PKK, ou pour avoir qualifié les membres du PKK de militants plutôt que de terroristes. Le gouvernement d’Erdogan place la liberté de la presse en état de siège et s’emploie à détruire complètement le journalisme.

Les mesures de répression prises par le président turc à l’égard de la liberté de la presse ne se limitent toutefois pas aux journalistes et reporters turcs ; elles s’étendent au-delà des frontières de la Turquie. En effet, les agents consulaires turcs à Rotterdam ont, par exemple, demandé à la communauté turque des Pays-Bas de signaler toute insulte formulée à l’encontre de Recep Tayyip Erdogan. En outre, la Turquie a ciblé de nombreux journalistes étrangers, dont un photojournaliste français qui a été arrêté et expulsé, ainsi qu’un autre reporter d’une chaîne de télévision allemande qui s’est vu refuser l’entrée au pays.

Les fonctionnaires turcs ont accusé les médias européens et occidentaux d’hypocrisie dans leur manière de dépeindre les médias en Turquie, affirmant que les États occidentaux ont leurs propres normes de censure en ce qui concerne les questions délicates de sécurité nationale.

Bien que l’Union européenne ait, à quelques reprises, publié des rapports cinglants sur le sérieux retour en arrière de la Turquie dans le domaine de la liberté de la presse, l’UE et les États-Unis (tout comme le Conseil de l’Europe et le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU) n’ont malheureusement pris aucune mesure punitive pour mettre un terme au déchaînement d’Erdogan contre la liberté de la presse.

Hélas, la communauté européenne et les États-Unis trahissent leurs valeurs démocratiques. Ils continuent de prendre des gants avec le président turc sous prétexte qu’il joue un rôle important dans la guerre contre l’État islamique et parce qu’il autorise les États-Unis et leurs alliés à utiliser la base aérienne d’Incirlik dans le sud de la Turquie pour lancer leurs attaques aériennes contre Daesh.

Une chose est sure, Erdogan a réussi à faire chanter l’Occident. Il utilise habilement son effet de levier pour contrôler le flux des réfugiés syriens en Europe et cimenter la position géostratégique de la Turquie en tant que plaque tournante pour le transfert pétrolier et gazier vers l’Europe.

La Turquie sous Erdogan bafoue la liberté de la presse, les libertés individuelles et le droit de manifester pacifiquement ; toutes les strates des autorités dirigeantes turques – y compris la police, le système judiciaire, la bureaucratie et l’échelon politique du parti AKP – sont corrompues jusqu’à la moelle et irrécupérables.

L’OTAN ne peut pas permettre à l’un de ses membres d’éroder l’alliance de l’intérieur et s’attendre à ce qu’il demeure une force viable capable de maintenir et de protéger la sécurité et les valeurs morales de l’Europe.

Aucun pays dirigé par un dictateur qui attaque les alliés des États-Unis – comme les Kurdes en Syrie – ne devrait rester membre de l’OTAN, et aucun pays vendant des armes à l’État islamique ne devrait en être membre.

Aucun pays se rapprochant de l’ennemi des États-Unis – la Russie – et lui achetant des armes ne devrait demeurer membre de l’OTAN, et aucun pays transformé en État islamique extrémiste par un dirigeant trop zélé ne devrait conserver sa place au sein de cette organisation.

Aucun pays enfreignant chaque principe de la démocratie, commettant des violations flagrantes des droits de l’Homme et dévastant sa population ne mérite de faire partie de l’alliance de l’OTAN.

La Turquie sous le règne d’Erdogan n’est plus un partenaire fiable ou digne de confiance ; elle est devenue un handicap plutôt qu’un membre viable et constructif de l’organisation, ce qui pourrait grandement affecter la cohésion, l’efficacité et la préparation de l’OTAN pour affronter les menaces éventuelles contre la sécurité de l’Europe.

L’OTAN devrait donc avertir Erdogan qu’à moins qu’il ne renonce à ses politiques et ne rétablisse les principes démocratiques fondamentaux, en particulier les droits de l’Homme et la liberté de la presse, la Turquie sera expulsée de l’Organisation des Nations Unies.

Je ne me fais naturellement pas d’illusions : il y a peu de chances que l’OTAN agisse de sitôt, mais je suis convaincu que les membres de l’OTAN devraient aborder ce problème crucial.

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