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février 5, 2020

La politique étrangère lamentable de Donald Trump

J’ai rencontré dernièrement un groupe de représentants de différents pays venus aux États-Unis pour se renseigner sur notre système politique ainsi que sur le processus décisionnel relatif à la politique étrangère américaine sous l’administration Trump. S’ils m’avaient interrogé à ce sujet quand Barack Obama ou George W. Bush occupaient la Maison-Blanche, j’aurais pu leur donner des précisions sur certaines politiques américaines à l’égard de nos alliés et de nos adversaires. Donald Trump n’a quant à lui aucune doctrine cohérente en matière de politique étrangère. Il ne comprend manifestement rien à la perspective historique et ne sait rien des subtilités de divers conflits régionaux. Il ne fait aucun cas des alliances et des accords internationaux ; il se montre imprévisible et sans retenue et il émet des directives selon son intuition. Je présente ci-dessous un résumé de la « politique » étrangère de Trump et du désordre mondial qu’il a semé (et qu’il sème encore).

Le conflit israélo-palestinien est plus insoluble que jamais ; Donald Trump a torpillé la perspective d’une solution à deux États avant même de dévoiler son soi-disant « accord du siècle ». En reconnaissant en décembre 2017 Jérusalem comme capitale de l’État d’Israël et en y déplaçant l’ambassade américaine qui se trouvait auparavant à Tel-Aviv, en déclarant la légalité des colonies israéliennes, en donnant le feu vert à l’annexion de la vallée du Jourdain et en gelant l’aide financière au peuple palestinien, il a sciemment empêché les Palestiniens de négocier sur les questions mêmes qu’il a octroyées aux Israéliens. Les célébrations de la droite israélienne seront de courte durée, car cet « accord » risque d’exploser rapidement. La paix n’a guère de chance de régner ; la violence est à l’ordre du jour.

Le retrait brutal des forces américaines de Syrie a été un vrai désastre. Donald Trump a abandonné notre allié de confiance dans la lutte contre l’État islamique – les Kurdes syriens – à la merci de l’impitoyable dictateur turc Recep Tayyip Erdogan. Plusieurs centaines de personnes ont été tuées et des dizaines de milliers d’autres sont devenues des réfugiés. La Turquie a désormais pris pied en Syrie et la Russie est maintenant la seule à tirer les ficelles dans ce pays. L’Iran est plus déterminé que jamais à renforcer sa présence militaire en Syrie, faisant peser une menace constante sur Israël. La Syrie risque ainsi de devenir un champ de bataille entre Israël et l’Iran. L’État islamique s’élève de nouveau aux côtés d’autres groupes djihadistes. La violence entre les parties en conflit se poursuivra sans relâche. Les États-Unis n’ont plus leur mot à dire sur l’avenir du pays.

Après trois années d’hésitations et d’incertitudes, une nouvelle crise s’est déclarée entre les États-Unis et l’Iraq immédiatement après l’assassinat du général iranien Qassem Soleimani sur le territoire iraquien, sur ordre de Donald Trump. Des centaines de milliers d’Iraquiens ont envahi les rues pour exiger le départ des troupes américaines, forçant le parlement à adopter une loi à cet effet. La décision désastreuse de Donald Trump a également mis à mal les relations déjà tendues que les États-Unis entretenaient avec l’Iraq, ce qui a permis à l’Iran de consolider son pouvoir et son influence politique en Iraq et gravement porté atteinte aux intérêts géostratégiques des États-Unis dans ce pays et cette région. Certaines troupes américaines resteront en Iraq, mais tant que l’Iran dominera l’organe politique iraquien, les États-Unis seront de plus en plus marginalisés et nos alliés du Moyen-Orient en paieront le prix.

Le conflit avec l’Iran dure depuis 40 ans, mais il s’est sensiblement aggravé à cause de la politique hostile de Donald Trump – tout d’abord, le retrait de l’accord iranien, ensuite l’imposition de sanctions paralysantes, les menaces de changement de régime et, dernièrement, l’assassinat du général Soleimani. Au lieu de s’appuyer sur l’accord nucléaire, Trump a anéanti toute perspective de nouer un jour des relations constructives avec l’Iran, qui, à l’heure actuelle, a pratiquement abandonné l’accord. Au dire de tous, l’Iran peut désormais produire la quantité et la qualité d’uranium qu’il souhaite. L’approche malavisée de Donald Trump vis-à-vis de l’Iran n’a fait qu’accroître le risque de prolifération des armes nucléaires et inciter l’Iran à poursuivre ses activités répréhensibles au Moyen-Orient. Le nouveau conflit entre les États-Unis et l’Iran déstabilisera la région, les deux pays se tenant au bord du gouffre de la guerre.

Les efforts qui ont été déployés pour dénucléariser la Corée du Nord n’étaient rien de plus qu’une illusion. Trump pensait pouvoir se servir de ses « capacités de négociateur inégalées » pour persuader Kim Jong Un de démanteler son arsenal nucléaire avant que les États-Unis ne lèvent leurs sanctions. Au bout de trois rencontres en personne, Trump a échoué, car il n’a pas compris que Kim Jong Un ne dénucléariserait pas son pays sans un plan explicite à long terme. En outre, après son retrait de l’accord iranien, Donald Trump n’a donné aucune raison à Kim Jong Un de se fier à lui. Celui-ci aurait pu se laisser séduire par un plan à mettre en œuvre en plusieurs étapes sur une période de 7 à 10 ans au fur et à mesure de la levée progressive des sanctions. Un plan de ce type aurait permis d’effectuer une dénucléarisation par étapes de la Corée et conduit à la normalisation des relations entre les deux pays. Après cet échec lamentable de Donald Trump, les tensions dans la péninsule de Corée ont monté d’un cran, avec la reprise des essais de nouveaux missiles balistiques et d’armes nucléaires.

Depuis la montée au pouvoir de Donald Trump, la Turquie, de plus en plus nationaliste, vise de grands objectifs islamistes. Sous le régime d’Erdogan, la Turquie montre sa volonté de défier les valeurs occidentales et de s’affirmer sur le plan politique et militaire, et ce, dans l’impunité la plus totale. Bien qu’Erdogan se soit rapproché des pires ennemis des États-Unis (la Russie et l’Iran), qu’il ait défi l’OTAN en achetant le système russe de défense aérienne S-400 et menacé d’interdire aux Américains d’utiliser la base aérienne turque d’Incirlik, Trump lui a quand même donné le feu vert pour intervenir en Syrie et décimer les Kurdes syriens. Trump s’est abstenu de prendre des mesures punitives contre Erdogan, alors même que celui-ci terrorise son propre peuple et démantèle ce qu’il reste de la démocratie turque. En acceptant la conduite autoritaire d’Erdogan, Trump ne fait qu’enhardir ce dernier qui se mêle toujours plus des affaires intérieures du Moyen-Orient, des Balkans occidentaux et des pays d’Afrique du Nord tout en marginalisant les États-Unis.

La guerre désastreuse qui se poursuit au Yémen restera sans doute l’un des échecs les plus terribles de Donald Trump, qui continue de contribuer directement à la dévastation de ce pays en fournissant des machines à tuer à l’Arabie saoudite. Trump n’a fait presque aucun effort pour mettre fin à la guerre au Yémen. Des dizaines de milliers de civils yéménites ont été tués, des millions meurent de faim et près d’un million d’enfants ont contracté le choléra. Si l’Iran et les Houthis sont tout aussi responsables de ce désastre, Trump n’a rien dit et encore moins agi pour cesser cette guerre catastrophique. Il a privilégié ses intérêts financiers personnels en Arabie saoudite et s’est débarrassé de notre responsabilité morale en rendant les États-Unis complices des crimes contre l’humanité commis par les Saoudiens pendant son mandat.

Donald Trump a échoué à mettre fin à la guerre en Afghanistan, dans la foulée de Bush et d’Obama qui n’ont pas réalisé qu’il était impossible de gagner cette guerre. Trump a reproché à ses prédécesseurs de ne pas avoir mis un terme à cette guerre, mais il a emprunté la même voie qu’eux en ignorant ce que l’on sait depuis longtemps, à savoir que les talibans finiront par s’emparer du pouvoir. Les efforts qu’il a déployés pour parvenir à un accord ont été torpillés peu de temps avant sa mise au point définitive, parce qu’un kamikaze a tué un soldat américain. Au lieu de suspendre temporairement l’accord, il l’a complètement sabordé. La seule façon de mettre fin à ces deux décennies de guerre est d’exiger des talibans qu’ils s’engagent à respecter deux dispositions essentielles : empêcher les groupes terroristes tels qu’Al-Qaïda et l’État islamique de se servir de l’Afghanistan comme d’une base pour préparer leurs attaques et respecter pleinement les droits humains. Le non-respect de ces engagements entraînerait une série de sanctions paralysantes.

La politique de Donald Trump vis-à-vis de la guerre civile en Libye est à mi-chemin entre négligence et indifférence, laissant le sort du pays aux mains de la Russie et de la Turquie. Trump, qui a d’abord appuyé le gouvernement d’Al-Sarraj reconnu par l’ONU, a fait marche arrière pour soutenir Khalifa Haftar, qui est déterminé à contrôler l’entièreté du pays. Les efforts du secrétaire d’État américain, Mike Pompeo, qui a participé à la conférence de Berlin dans l’espoir d’orienter les délibérations sur l’avenir de la Libye, n’ont pas porté leurs fruits. La Russie et la Turquie, qui portent toutes les deux un intérêt particulier à la Libye, se sont déjà imposées comme celles qui tirent les ficelles. La décision malavisée de Donald Trump de réduire sensiblement la présence militaire américaine en Afrique occidentale ne fera qu’affaiblir l’influence des États-Unis en Libye ainsi que dans toute la région, ce qui aura d’énormes conséquences géostratégiques pour les alliés européens en particulier.

Trump a rejeté nos alliés européens d’une manière qui soulève de sérieuses questions quant à son engagement envers nos liens transatlantiques. Son affection pour Vladimir Poutine et, à l’inverse, ses vives critiques à l’égard de nos alliés ont directement joué en faveur du président russe, qui est déterminé à affaiblir nos alliances, en particulier l’OTAN, qui assure la sécurité collective de l’Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Trump n’a jamais compris le lien capital qui existe entre l’Europe et les États-Unis. Il considère les pays européens comme des partenaires commerciaux devant payer une part équitable en matière de défense, sans comprendre que leur sécurité est essentielle à la nôtre et qu’elle sert nos intérêts géostratégiques les plus essentiels. Ses tactiques musclées aliènent et contrarient sans cesse nos amis et nos adversaires, isolant les États-Unis de plus en plus et contribuant involontairement à diminuer leur influence dans le monde.

Telle est la situation de notre politique étrangère sous Trump. Hélas, rien ne changera tant qu’il restera au pouvoir. Notre seul salut est que, malgré les efforts de Donald Trump pour saper l’image de l’Amérique aux yeux de la communauté internationale, les États-Unis restent l’unique superpuissance. Cela pourra prendre un certain temps mais, guidés par de nouveaux dirigeants éclairés, les États-Unis d’Amérique regagneront leur rôle de leader mondial et se montreront à la hauteur de leurs valeurs politiques et sociales et de leurs principes moraux.

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