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juin 11, 2018

Lettre ouverte au Premier ministre Benyamin Nétanyahou

Monsieur le Premier ministre,

La dernière manifestation de Palestiniens qui s’est déroulée le long de la frontière entre Gaza et Israël et qui s’est terminée dans la violence n’a pas été une surprise ni pour moi ni même pour de nombreux Israéliens et Palestiniens. Cette confrontation tragique qui a entraîné la mort de 120 Palestiniens n’était pas la première et ne sera certainement pas la dernière. Israël a mené trois guerres contre le Hamas ainsi que d’innombrables frappes de représailles, sans que rien ne change fondamentalement.

Ce qui est triste dans tout cela, c’est que la situation n’évoluera pas à moins qu’Israël n’accepte le fait que le Hamas est l’autorité dirigeante à Gaza, avec laquelle il doit composer pour mettre un terme à cette tragédie qui se poursuit sans répit. Votre politique à l’égard de Gaza a toujours été de contenir cette région, mais dans quel but ? Le Hamas existe bel et bien et vous ne pourrez rien y changer – vous pouvez certes décapiter ses dirigeants, mais de nouveaux leaders de la même trempe apparaîtront.

Ces leaders pourraient bien être beaucoup plus extrémistes, prêts à faire de plus grands sacrifices encore, sachant que, quelle que soit la force que vous employez, vous ne réussirez jamais à soumettre indéfiniment deux millions de Palestiniens. Ils surgiront encore et encore et mourront car, pour eux, il vaut mieux mourir avec honneur que vivre en esclavage, à la merci de ce qu’ils considèrent comme une puissance détestable qui a perdu les derniers vestiges de sa responsabilité morale.

À quand remonte la dernière fois où vous avez imaginé la misère absolue que les Palestiniens vivent jour après jour ? À quand remonte la dernière fois où vous avez essayé de comprendre l’état psychologique et émotionnel des Palestiniens ? Réfléchissez-y seulement. Plus de quatre-vingts pour cent des Palestiniens ont moins de cinquante ans et sont nés sous l’occupation. Ils n’ont jamais vécu un seul jour de liberté.

Cinquante ans de désespoir et de désolation. Cinquante ans d’humiliation et de soumission. Cinquante ans de peur et d’incertitude. Cinquante ans de privation, de déshumanisation et de dégradation. Oui, cinquante ans de rancœur, de haine et de dégoût.

Lorsqu’ils se réveillent le matin, ils se sentent désespérés. Lorsqu’ils vont se coucher le soir, le désarroi les envahit. Ils vivent dans la crainte et l’appréhension, sans voir de jour meilleur à l’horizon. Pour eux, la liberté n’est qu’un mot parmi tant d’autres. Ils ne se voient pas comme des militants ou des terroristes. Ils se considèrent comme des victimes, et ce depuis le jour de leur naissance. Prisonniers du temps – prisonniers d’un sort dramatique, se moquant pas mal de qui a raison ou de qui a tort. Ils désirent ardemment une vie normale – une vie dans la dignité et l’honneur.

Vous, Monsieur le Premier ministre, avez habilement endoctriné la plupart des Israéliens pour qu’ils croient que les Palestiniens sont tous des terroristes, que le Hamas est l’incarnation du mal et que son but ultime est de détruire Israël. Par votre faute, ils pensent que le Hamas est irrécupérable et qu’il ne comprend que le langage de la force. Vous cherchez délibérément à susciter le trouble à Gaza pour justifier vos politiques extrêmes visant à isoler le Hamas et à maintenir le peuple israélien dans la peur.

Vous semez la panique, vous êtes avide de pouvoir et, malheureusement, la plupart des Israéliens sont tombés dans votre piège. Ils sont devenus suffisants, indifférents et insensibles à l’horreur qui se déroule sous leurs yeux, mais sans savoir comment expliquer à leurs enfants cinquante années d’occupation et de privations dont la fin n’est toujours pas en vue. Le meurtre d’une jeune infirmière palestinienne de 21 ans symbolise le côté obscur de ce conflit. Malgré la blouse médicale de la jeune fille, un tireur d’élite israélien l’a prise pour une autre cible. Elle a été abattue alors qu’elle tentait de sauver la vie d’un manifestant blessé.

C’est le moment de faire les comptes, de regarder la réalité en face : la réalité du Hamas et de ces deux millions de Palestiniens qui existent et qui n’iront nulle part. Vos politiques à l’égard du Hamas et le massacre insensé des Palestiniens ne vous apportent rien, si ce n’est une condamnation internationale. Par votre faute, Israël est devenu un État paria, sans pitié, égocentrique et immoral.

Il est temps de se montrer réaliste et d’affronter la vérité. Il est temps de réfléchir à l’avenir d’Israël et de changer la dynamique de cette lutte. Il est temps de déterminer la marche à suivre pour mettre un terme à ce conflit dévastateur et affligeant qui porte atteinte à la sécurité d’Israël, érode son tissu social et sape son fondement moral.

Il est temps de traiter Gaza comme une entité palestinienne distincte, une entité avec laquelle Israël peut – et doit – vivre en paix comme de bons voisins, en coopérant, en prospérant et en progressant ensemble. Non, ce n’est pas une chimère. Pas un seul Palestinien de Gaza ne croit qu’Israël pourra un jour être détruit. Les membres assermentés du Hamas ne savent que trop bien que l’État hébreu ne disparaîtra pas et que la qualité de leur vie, leur prospérité à long terme et leur sécurité dépendent de l’État juif.

Il est temps que les Israéliens se rendent également compte que tant que les Palestiniens subiront un blocus, qu’ils seront privés des produits de première nécessité, et qu’ils vivront dans l’angoisse et dans la peur, sans perspective de jours meilleurs, Israël ne connaîtra pas un seul jour de répit.

Il est temps de considérer le Hamas non pas comme une organisation terroriste, mais comme une instance dirigeante à la tête de deux millions de Palestiniens. Vous avez déclaré à plusieurs reprises qu’Israël ne négociait pas avec des terroristes, mais vous avez traité avec le Hamas directement et indirectement. Vous fournissez Gaza en électricité, en carburant, en matériaux de construction et en équipement médical, et vous laissez les puissances étrangères procurer au Hamas toute une série de marchandises ainsi qu’une aide financière.

Vous avez rapidement accepté l’offre de cessez-le-feu du Hamas, parce que vous vouliez vous concentrer sur la menace iranienne. Retenez bien ceci, tant que les conditions de vie à Gaza ne s’amélioreront pas, ce n’est qu’une question de temps avant la prochaine éruption de violence. La menace iranienne est une menace à long terme. Il est donc nécessaire de s’attaquer à la situation désastreuse et inflammable à Gaza. Vous éloignerez ainsi le Hamas de l’Iran, au lieu de l’en rapprocher.

Vous avez exigé que le Hamas cède ses armes avant de lever le blocus. Le Hamas a rejeté cette demande, parce qu’elle équivaut à une capitulation avant même le début de toute négociation. Vous pouvez demander à juste titre que le Hamas renonce d’abord à la violence et cesse toutes les hostilités (Hudna). Il aura tout intérêt à maintenir cette situation tant qu’il obtiendra des avantages immédiats et durables, créant un climat de calme et de confiance mutuelle qui pourrait conduire à la paix.

Un processus de contrepartie devrait être établi : la réduction ou la destruction d’armes par le Hamas sera récompensée par un assouplissement du blocus. Les deux camps doivent se mettre d’accord sur un processus de négociation, dont l’objectif est d’abord d’établir un cessez-le-feu permanent, d’instaurer la confiance et, enfin, de lever progressivement et complètement le blocus. Cela permettra, au fil des ans, de mettre en place les bases sur lesquelles bâtir une structure permanente de paix, où toutes les autres questions conflictuelles pourront être réglées.

C’est l’approche la plus réaliste, car contrairement à la Cisjordanie, Israël ne désire aucune partie de Gaza et ne souhaite nullement établir de dispositif de sécurité dans cette région comme celui qui existe en Cisjordanie. En réalité, Israël a tout intérêt à traiter avec Gaza en tant qu’entité distincte de la Cisjordanie. Dans tous les cas, le Hamas et l’Autorité palestinienne ont peu de choses en commun. Ils ne s’entendent ni sur le plan idéologique ni sur le plan politique. En les séparant sur la voie de la paix, vous faciliteriez aussi les négociations avec l’Autorité palestinienne.

Les leaders du Hamas et vous-mêmes êtes piégés dans vos vieux discours fatigués. Vous vous reprochez mutuellement l’impasse dans laquelle vous vous trouvez et vous refusez d’accepter la réalité. Certes, le passé ne peut être jugé, ni Israël ni le Hamas ne peuvent rectifier les erreurs du passé. Ils doivent tous deux accepter ce qu’il s’est passé, car aucun d’eux ne peut l’occulter.

Monsieur le Premier ministre, vous avez la responsabilité solennelle de mettre un terme à ce conflit, car aucun Israélien ou Palestinien ne devrait mourir dans une lutte sanglante qui n’a jamais produit de gains tangibles ou durables pour l’une ou l’autre partie et qui n’en produira jamais.

On se souviendra de vous comme du Premier ministre qui a fait d’Israël une puissance solide et prospère, en paix avec ses voisins palestiniens, ou une puissance l’arme au poing, mise à mal par sa décadence morale et à l’avenir incertain. À vous de décider l’héritage que vous souhaitez laisser derrière vous.

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