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juillet 7, 2017

Les Kurdes sous le joug tyrannique d’Erdogan

Des dizaines de milliers de personnes ont trouvé la mort au cours des quarante dernières années d’effusions sanglantes entre les forces turques et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Hélas, le bain de sang ne semble pas devoir prendre fin. En mai 2016, le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré que les opérations militaires contre le PKK se poursuivraient jusqu’à ce que « le dernier rebelle tombe ». La déclaration d’Erdogan est alarmante : il croit encore pouvoir résoudre ce conflit par la force brutale. Erdogan ne comprend pas qu’il lui sera impossible de faire disparaître le problème turc par la simple pensée. Ce problème continuera de le tourmenter et de hanter le pays pour les innombrables décennies à venir tant qu’une solution respectant les droits culturels et les droits de l’Homme des Kurdes n’aura pas été trouvée.

Le pays abrite 15 millions de Kurdes, soit près de 18 % de la population turque. À l’instar de leurs homologues turcs, les Kurdes sont en grande partie sunnites, mais leurs différences culturelles prennent le dessus sur leurs croyances religieuses. Ils se battent pour préserver leur identité ethnique, par peur, sinon, de voir leur culture et leur langue disparaître et s’éteindre.

L’histoire de ce conflit est longue, complexe et douloureuse. Dans les années 1970, Abdullah Öcalan a mené une campagne de sensibilisation à la détresse du peuple kurde. Celle-ci s’est soldée par des mesures de répression adoptées successivement par les différents gouvernements turcs, entraînant la création du PKK et de nouvelles escalades de la violence.

Face à l’intensification des pressions nationales et de l’UE, Erdogan a accepté de reprendre les négociations fin 2012, mais les pourparlers ont échoué en juillet 2015. Au lendemain du coup d’État militaire avorté en juillet 2016, Erdogan a entrepris d’écraser les aspirations du PKK et du peuple kurde, même si, à ce jour, il n’existe absolument aucune preuve de connexion entre les Kurdes et le complot. Sa campagne assassine contre les Kurdes s’est poursuivie malgré les appels lancés par l’UE et les États-Unis pour qu’il mette un terme à cette approche autoritaire outrepassant gravement les droits de l’Homme du peuple kurde. Tout récemment, le Premier ministre Binali Yıldırım a annoncé dans la ville kurde de Diyarbakır qu’environ 14 000 enseignants kurdes seraient suspendus, les accusant injustement d’entretenir des liens avec le PKK.

Pour aggraver la situation, Erdogan a autorisé une attaque féroce sur les forces du PKK qui s’étaient intégrées à une communauté civile majoritairement kurde au sud-est du pays. Un rapport de l’ONU fait état de nombreuses violations des droits de l’Homme : assassinats, disparitions, actes de torture, destructions de bâtiments d’habitation, entrave à l’accès aux soins médicaux, etc. Les forces turques ne laissent que des ruines dans cette région.

De juillet 2015 à décembre 2016, plus de 2000 personnes ont perdu la vie, dont 1200 civils et 800 membres des forces de sécurité turques. Plus de 500 000 personnes ont été déplacées. Des centaines de membres du Parti démocratique des peuples (HDP) ont été jetés en prison, accusés de coopération avec le PKK. Erdogan s’entête à ne pas vouloir négocier, insistant sur le fait que le PKK est une organisation terroriste et qu’elle doit être rappelée à l’ordre par l’armée.

Certes, il est important de prendre position sur ce qui est bien ou mal, mais nous sommes confrontés ici à une réalité qu’aucun camp ne peut ignorer. Les Turcs et les Kurdes ne peuvent s’attendre à trouver une solution qui répondra exclusivement à leurs propres exigences. Après plus de quarante années de conflit sanglant qui ont coûté la vie à de si nombreuses personnes et de destruction dont ont souffert des centaines de milliers de Kurdes et de Turcs, quand Erdogan retrouvera-t-il la raison et réalisera-t-il que la solution passe obligatoirement par des négociations de paix ?

Le plus regrettable, c’est que la communauté internationale, en particulier l’UE et les États-Unis, reste muette quant aux transgressions et à la cruauté d’Erdogan. L’UE et les États-Unis invoquent souvent le rôle de la Turquie dans la lutte contre l’État islamique, son adhésion à l’OTAN et son importance stratégique en tant que carrefour énergétique pour expliquer leur réticence à faire pression sur Erdogan afin qu’il change de cap.

Ceci dit, et peu importe les problèmes que la Turquie rencontre – la lutte contre l’État islamique, une économie sur le déclin, des troubles internes aggravés par la tentative de coup d’État, et la pression liée à l’accueil de trois millions de réfugiés –, rien ne justifie les purges outrageuses d’Erdogan.

L’incarcération de centaines de journalistes kurdes, l’arrestation de dizaines de parlementaires kurdes, le recours à des tactiques de punition collective contre les villes et villages kurdes, et l’attaque des Kurdes syriens qu’il accuse d’aider le PKK démontrent son mépris total des droits de l’Homme et ne fait qu’accroître les tensions à travers le pays, incitant le terrorisme et accentuant la polarisation sociale et politique.

En tant que croyant prêchant la bonne parole des valeurs islamiques, Erdogan vilipende et viole pourtant ces dernières. Il justifie aisément le massacre aveugle de femmes, d’hommes et d’enfants kurdes innocents, tout en s’apitoyant impudemment sur son sort.

La démagogie est une seconde nature pour lui. Comme l’a dit le président John Fitzgerald Kennedy dans les années 1960, « les voix qui prêchent des doctrines sans aucun rapport avec la réalité… [se leurrent en pensant que] la force n’est qu’une question de slogans ». Erdogan prétend que la Turquie est une démocratie à part entière, et pourtant il détruit les derniers vestiges de la gouvernance démocratique de ce pays, que lui-même promouvait pendant ses deux premiers mandats.

Il affirme que les Kurdes bénéficient des mêmes droits politiques et de l’Homme que n’importe quel autre citoyen turc, et souligne le fait que le parlement turc compte 110 Kurdes. Il est vrai que les Kurdes bénéficient des mêmes droits que les Turcs en vertu de la constitution, mais dans la pratique, ils font l’objet de discriminations systématiques dans les nominations du gouvernement, les contrats d’affaires, les offres d’emploi et dans l’enseignement.

Erdogan ne comprend tout simplement pas que, même si les Kurdes étaient traités de manière équitable dans toutes les sphères de la vie, leurs souhaits respectent et complètent même le cadre de la démocratie turque. Ils ne veulent pas la création de leur propre État, ils désirent simplement vivre librement en tant que citoyens turcs loyaux et pratiquer leurs coutumes, profiter de leurs danses et musiques folkloriques et apprécier un mode de vie en accord avec leur patrimoine culturel riche et ancien.

L’ironie de la chose est qu’Erdogan veut que les Kurdes soient des citoyens loyaux, mais il n’a jamais compris que leur allégeance à la Turquie dépendait de la manière dont ils étaient traités, des droits qui leur étaient octroyés et de la civilité qui leur était accordée. Erdogan ne peut exiger des Kurdes une loyauté inconditionnelle alors qu’il les prive de leurs droits fondamentaux. Cette situation ne fait que les aliéner davantage et les force à se battre et à mourir pour une règle autonome, sinon l’indépendance, qu’il s’obstine à vouloir empêcher.

Je ne soutiens pas, non, je condamne, tout individu ou groupe qui recourt à la force brutale à des fins sociales ou politiques, indépendamment de son origine, de sa motivation, de son idéologie ou de sa croyance. Erdogan et le PKK sont tout aussi coupables l’un que l’autre. Ils doivent prendre le temps de réfléchir à ce qu’apporteront toutes ces morts et ces destructions, alors qu’au bout du compte les deux peuples devront quand même coexister et se faire face.

Lorsqu’on constate une montée de l’extrémisme radical, que les droits de l’Homme deviennent des cibles idéales, que le terrorisme s’intensifie, que les conflits ethniques violents se multiplient et que des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont massacrés, les meneurs de conscience ne doivent pas jeter de l’huile sur le feu qui consume la région inlassablement et sans pitié.

Le PKK ne doit pas rentrer dans le jeu de dictateurs tels qu’Erdogan, en tuant des civils innocents ; tant qu’il sera considéré comme un groupe terroriste, il ne bénéficiera pas du soutien d’organisations civiques influentes et de la population turque en général.

Pour ne plus être stigmatisé comme étant une organisation terroriste, le PKK doit déclarer un cessez-le-feu unilatéral et se déclarer prêt à entamer des négociations de paix de manière inconditionnelle, ce qui augmenterait la pression publique sur Erdogan pour qu’il reprenne les pourparlers.

En l’absence du leadership américain, l’UE doit se charger elle-même d’utiliser son énorme levier économique et politique pour empêcher Erdogan de poursuivre ses méthodes et ses politiques impitoyables à l’encontre des Kurdes et de ses propres concitoyens turcs. Le fanatisme nationaliste d’Erdogan divise le pays et pourrait bien engendrer des violences généralisées entre les Turcs, intensifiant encore davantage l’instabilité régionale.

Monsieur le Président, réveillez-vous ! Vous ne réussirez pas à tuer tous les combattants du PKK, non seulement à cause de la nature de cette guérilla, mais surtout en raison de la détermination des Kurdes qui veulent à tout prix préserver leur riche patrimoine culturel ainsi que leur langue et leurs droits fondamentaux. Ils resteront déterminés et ils vous survivront, peu importe la douleur et les souffrances qu’ils devront endurer sous votre joug tyrannique.

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