Quand les conditions géopolitiques et les valeurs morales se rejoignent
L’évolution géopolitique du Moyen-Orient au cours des quinze dernières années a créé une nouvelle dynamique politique et sécuritaire engendrée par les troubles violents dans la région et les vives inquiétudes d’Israël et des États arabes quant à la menace iranienne. Israël est arrivé à un nouveau tournant crucial : poursuivre son occupation oppressive et l’annexion progressive des territoires palestiniens, en parfaite contradiction avec sa responsabilité morale et les valeurs juives ; ou parvenir à un accord avec les Palestiniens dans le cadre d’une paix globale entre Israéliens et Arabes, ce que les États arabes désirent maintenant plus que jamais en raison de leurs préoccupations en matière de sécurité intérieure et étrangère.
Le gouvernement actuel, dirigé par Benyamin Nétanyahou avec le soutien de trois ministres radicaux, Avigdor Lieberman, Naftali Bennett et Ayelet Shaked – à la tête respectivement des ministères de la Défense, de l’Éducation et de la Justice – savoure ce nouvel environnement géopolitique. Ils se complètent les uns les autres en adoptant une position défensive, un programme éducatif biaisé et des discours publics trompeurs, tout en affaiblissant le système judiciaire. Nétanyahou orchestre, quant à lui, une stratégie à long terme pour priver les Palestiniens de leur propre État.
Aveuglés par l’euphorie liée à la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël, par l’expansion presque sans entrave des colonies et par l’annexion des territoires palestiniens, ces ministres sont persuadés que leur occupation n’est plus une préoccupation majeure pour les États arabes. De plus, forts du soutien indéfectible de Trump, ils pensent avoir carte blanche pour accomplir tout ce qu’ils veulent en toute impunité. Ils se trompent lourdement.
Israël doit saisir cette occasion unique et urgente que lui offre l’évolution de la dynamique géopolitique régionale précipitée par la menace iranienne commune à l’encontre d’Israël et des États arabes. Les pays arabes de premier plan, en particulier l’Arabie saoudite, l’Égypte, la Jordanie et les États du Golfe, considèrent aujourd’hui Israël comme un allié stratégique plutôt qu’un ennemi, ce qui laisse deux options à Israël :
La première est de s’infiltrer davantage sur le territoire palestinien en construisant de nouvelles colonies, en agrandissant les colonies existantes et en reconnaissant celles qui sont illégales. Cette première option anéantira fondamentalement toute perspective de parvenir un jour à un accord de paix israélo-palestinien fondé sur une solution à deux États. Cela n’empêchera toutefois pas les États arabes de coopérer avec Israël, car leur préoccupation face aux menaces nationales et étrangères passe en priorité par rapport aux aspirations du peuple israélien à l’avènement d’un État.
Leur réaction relativement timide face à la reconnaissance par Trump de Jérusalem comme capitale d’Israël ne fait que renforcer l’opinion selon laquelle les craintes des États arabes liées à la menace iranienne passent avant tout le reste, même avant une question aussi délicate que le futur statut de Jérusalem.
Cela dit, même si les États arabes veulent normaliser leurs relations avec Israël, ils n’en feront rien, car cette démarche serait considérée comme une trahison flagrante à l’égard de la cause des Palestiniens qu’ils défendent depuis plusieurs décennies. Ils continueront donc de maintenir une coopération stratégique tacite avec Israël contre l’Iran, dont ils ont besoin, mais priveront l’État juif d’une paix globale à laquelle les Israéliens aspirent profondément.
La deuxième option pour Israël consiste à profiter de la situation actuelle de ses relations avec les pays arabes en tendant la main aux Palestiniens pour relancer des pourparlers de paix constructifs. Il pourrait bien s’agir d’une occasion historique, car les États arabes, qui souhaitent maintenir leur coopération stratégique avec Israël, sont désormais prédisposés à faire pression sur les Palestiniens pour qu’ils fassent des concessions importantes, notamment en ce qui concerne la sécurité nationale, les réfugiés et les échanges de terres.
La conjoncture constitue une occasion presque unique d’atteindre un accord de paix qui pourra être mis en œuvre sur une longue période de temps (dix ans ou plus), pendant laquelle les deux camps pourront instaurer la confiance (dont ils manquent cruellement) par l’intermédiaire de projets socio-économiques conjoints, tout en consolidant les accords et la coopération dans le domaine de la sécurité.
En créant un État palestinien, Israël cessera de violer les droits de l’Homme et mettra un terme à l’érosion morale continue provoquée par l’occupation, qui infecte le pays depuis cinquante ans et qui nuit gravement à l’humanitarisme et aux valeurs juives. Ces valeurs étaient le secret de la survie des Juifs au fil des millénaires, même s’ils étaient victimes de discrimination, de persécution et d’expulsion et condamnés à mort.
Comme l’a si bien dit le rabbin Daniel Polish dans son ouvrage intitulé Judaism and Human Rights (« Le judaïsme et les droits de l’Homme »), « le système des valeurs et des idées [sur lesquelles sont fondés les droits de l’Homme] font partie des croyances qui inspirent l’essence même des Saintes Écritures juives et de la tradition des idées et des pratiques qui en découlent… ».
Fondamentalement, Nétanyahou et sa clique croient fermement que Dieu a légué la « Terre d’Israël » exclusivement aux Juifs, ce qui justifie toute mesure, aussi injuste et humainement injurieuse soit-elle, pour conserver à jamais ce territoire au nom de Dieu. Ils semblent oublier que « les droits de l’Homme font partie intégrante de la foi et de la tradition juive ».
La frange de droite de la population israélienne considère l’évolution de la situation entre Israël et ses voisins arabes et la reconnaissance par les États-Unis de Jérusalem comme capitale israélienne comme autant de preuves du caractère incontestable des décisions et des politiques du gouvernement de Nétanyahou. Et pourtant rien n’est moins vrai.
Si ces politiques pouvaient en réalité apporter une paix globale, je dirais qu’elles doivent maintenir le cap. Mais étant donné l’instabilité du Moyen-Orient, les amis et alliés d’aujourd’hui pourraient bien être les ennemis de demain. Le gouvernement de Nétanyahou ne peut ignorer cette perspective.
À l’heure actuelle, l’Arabie saoudite et les États du Golfe ont besoin d’une coopération stratégique avec Israël, car elle sert leurs intérêts tant que l’Iran constitue une menace pour leur sécurité nationale. Cette situation pourrait changer à bien des égards, notamment par l’atténuation du conflit entre l’Arabie saoudite et l’Iran, une fois que la Syrie et l’Irak se seront stabilisés, auquel cas la coopération stratégique avec Israël n’aura plus d’importance.
S’il ne conclut pas d’accord de paix avec les Palestiniens et le reste des États arabes, Israël se rendra vulnérable à l’évolution de l’environnement géopolitique. Nétanyahou, Lieberman, Bennett et Shaked peuvent-ils garantir qu’ils pourront indéfiniment orienter l’évolution de la situation dans la région selon l’avantage d’Israël ?
Il n’y a pas de véritable adversaire aujourd’hui qui puisse potentiellement détruire Israël. Le plus grand ennemi de l’État hébreu vient de l’intérieur : ses dirigeants malavisés, dont la mission messianique aveugle mènera à la destruction de l’État juif et démocratique d’Israël.