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juillet 24, 2017

Afghanistan : une guerre moralement corruptrice

Seize années se sont écoulées depuis que nous sommes partis au combat en Afghanistan et aujourd’hui, nous sommes toujours engagés dans cette guerre, la plus longue de l’histoire des États-Unis. Celle-ci nous aura coûté près d’un millier de milliards de dollars et elle aura versé le sang de milliers de braves soldats. Cette guerre moralement corruptrice semble n’avoir aucune issue et n’offrira aucune autre récompense que la honte. Il était nécessaire d’envahir l’Afghanistan pour détruire Al-Qaïda après les attentats du 11 septembre, mais nous aurions dû quitter le pays après notre victoire, et ne laisser que quelques forces pour nettoyer les dégâts. Au lieu de cela, nous avons voulu y instaurer une démocratie, un concept totalement étranger pour ce territoire gouverné depuis toujours par des tribus, qu’aucune puissance étrangère n’a jamais réussi à diriger ou conquérir pleinement pendant une longue période.

À l’heure actuelle, nous essayons encore de déterminer quelle serait la meilleure ligne de conduite à adopter pour mener cette guerre à son terme de manière satisfaisante. Avant de proposer différentes solutions, nous devrions d’abord examiner de près le coût réel de cette guerre et de ses répercussions. Il en surprendra plus d’un.

Près de 2400 soldats américains ont été tués et 20 000 blessés ; plus de 33 000 civils afghans ont perdu la vie. 1662 civils, un nombre record, ont été abattus rien que sur les six premiers mois de 2017, et on compte déjà plus de 3581 blessés parmi les civils. Dans l’ensemble, on estime à 225 000 le nombre de victimes afghanes, sans compter les 2,6 millions de réfugiés afghans, et à plus d’un million le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du territoire.

Jusqu’à présent, le coût de cette guerre s’élève environ à 783 milliards de dollars ; chaque soldat coûte 3,9 millions de dollars par an. Si nous devions diviser le coût de ce conflit entre les 30 millions de citoyens afghans, cela reviendrait à 33 000 dollars par habitant, une somme dont les citoyens afghans ordinaires n’ont tiré aucun bénéfice dans ce pays où le revenu annuel moyen par habitant ne s’élevait qu’à 670 dollars en 2014.

Nous dépensons cet argent dans une guerre perdue, alors que quinze millions d’enfants américains (soit 21 % de la population enfantine) vivent dans des ménages sous le seuil de pauvreté et que des centaines de milliers d’enfants s’endorment chaque jour en ayant faim. Bon nombre d’entre eux vivent dans des conditions sordides : les infrastructures qui les accueillent et leurs maisons menacent de s’effondrer.

Pour mieux saisir la nature grotesque des dépenses consenties par les différents gouvernements américains dans cette guerre, il suffit de réfléchir au coût que cela implique pour notre pays, non seulement en vies humaines, en argent, mais aussi au niveau de la réputation morale des États-Unis dans le monde. Le gouvernement américain, obsédé par cette pensée destructrice, croit encore que les forces militaires peuvent gagner la guerre.

Après 16 années de combat, il est naïf de croire encore que l’envoi de 4000 nouveaux soldats (recommandations du secrétaire à la défense James Mattis) changera quoi que ce soit, quand on sait qu’au paroxysme de cette guerre, plus de 140 000 soldats ne sont pas parvenus à remporter la victoire et à créer une structure politique et sécuritaire qui nous permettrait de quitter ce territoire dignement.

Personne au sein de l’administration Trump, Pentagone compris, ne laisse entendre que l’envoi de forces supplémentaires permettrait de gagner la guerre. Au mieux, ces forces peuvent freiner l’avancée continue des talibans qui contrôlent désormais plus d’un tiers du pays. Et après ?

Il a été demandé au sénateur John McCain de définir ce qu’il entendait par « victoire » en rentrant d’une visite en Afghanistan. Celui-ci a répondu : « La victoire consiste à contrôler la majorité du territoire et à établir une sorte de cessez-le-feu avec les talibans ». Mais comme l’a si bien dit Robert L. Borosage de l’hebdomadaire The Nation, « nous avons déjà contrôlé la majeure partie du territoire par le passé, mais les talibans n’ont pas cessé d’opposer de résistance, tandis que la corruption et la division ont continué de paralyser le gouvernement afghan ». Outre cette menace talibane, Al-Quaïda est de retour en force, prenant son envol bien au-delà des frontières afghanes.

En fait, la situation actuelle est encore pire dans les domaines politique et sécuritaire, et les chances de créer des conditions durables sur le terrain et d’établir un gouvernement fonctionnel à Kaboul sont quasi nulles. Hélas, le secrétaire à la défense James Mattis fait penser à un joueur compulsif injectant de l’argent dans des machines à sous, déprimé et frustré à la fin d’avoir perdu ses sous, espérant malgré tout gagner le jackpot qui lui rapporterait gros.

On pourrait lui demander quel est désormais notre objectif en Afghanistan et quelle est notre stratégie de retrait ? Ces 16 dernières années, aucune secrétaire à la défense n’a donné de réponse claire à ces deux questions. Et on nous demande à nouveau de mettre en jeu la vie de nos soldats, dans l’espoir de gagner un jour cette guerre affligeante, qui est devenue une guerre de choix.

Une chose est sure, il n’y aura aucune solution militaire à la guerre en Afghanistan. Plus tôt nous accepterons cette réalité, aussi dure soit-elle, mieux ce sera, car nous pourrons enfin focaliser notre attention sur un résultat concret qui ne peut naître que de négociations avec les talibans modérés.

La deuxième façon de mener cette guerre, que Steve Bannon, stratégiste en chef de Donald Trump, défend, est d’engager des entrepreneurs privés, au lieu des troupes américaines, pour mener une guerre par procuration. Cette proposition est absolument dédaigneuse. Si nous devions nous engager sur cette voie, en envoyant des mercenaires à l’étranger pour s’occuper de nos tueries, nous resterait-il quelque chose de plus décadent encore sur le plan moral que cette violation de notre humanité ?

Il était déjà assez scandaleux de faire appel à des mercenaires par le passé pour tenir lieu d’agents de sécurité ou pour gérer nos centres de détention. Ceux-ci ont outrepassé leur rôle et commis des crimes monstrueux en gagnant des milliards de dollars.

Nous ne devrions jamais répéter ces erreurs, moralement répréhensibles. C’est évidemment Steve Bannon qui a proposé ce plan, un expert en manipulation qui ne sert que ses propres intérêts et dont les conseils n’ont fait que donner plus d’ennuis au président qu’il ne peut en surmonter. Nous ne devrions pas livrer une guerre pour laquelle nous ne sommes pas prêts à sacrifier la vie de nos soldats pour une juste cause.

Lors de plusieurs conversations que j’ai eues avec lui, Ajmal Khan Zazai, chef tribal et chef suprême de la province de Paktiyâ en Afghanistan, a évoqué, avec beaucoup de frustration, l’approche militaire des États-Unis, qui n’a jamais eu la moindre chance de réussite. « L’Afghanistan est un pays tribal. Les tribus sont le passé, le présent et l’avenir de ce pays. Ce serait un miracle que les États-Unis remportent cette lutte acharnée contre les talibans et leurs associés [dont Al-Quaïda et l’État islamique] sans le soutien et l’appui des tribus. Et je doute qu’un miracle se produise de nos jours. »

Il a plusieurs fois souligné la naïveté des différents gouvernements américains qui se sont succédé, expliquant que les responsables du département d’État et du ministère de la défense de l’ère Bush semblaient « obsédés par leur version de la “démocratie” et des “droits de l’Homme” » ou croire uniquement en une solution militaire américaine. « Ils ne croient pas aux solutions locales ou artisanales des tribus et ils ne cherchent pas à gagner leur cœur et leur esprit. »

Il est temps que les États-Unis se rendent compte que la solution à long terme dépend du soutien total des tribus, comme l’a expliqué Ajmal Khan Zazai. Ce dernier m’a dit qu’il était prêt à réunir tous les chefs tribaux pour demander aux dirigeants américains de leur donner les moyens de résoudre ce conflit, en leur fournissant quatre ou cinq cent millions de dollars par an pendant quelques années (une fraction des dépenses actuelles). L’objectif serait de recruter et d’entraîner leur propre milice pour livre leurs propres batailles, et non pas d’engager des mercenaires qui ne feraient que prolonger la guerre pour s’en mettre plein les poches.

La solution de cette débâcle en Afghanistan appartient aux tribus afghanes, qui doivent prendre la tête de cette lutte contre l’insurrection. Les tribus se battront pour leur pays, car elles veulent mettre un terme aux interventions étrangères scandaleuses qui ont mis le pays à feu et à sang au nom d’une démocratie illusoire.

Au final, la solution à cette guerre dépend des négociations de paix avec les talibans modérés, qui sont des ressortissants afghans et qui ne seront pas délogés de leur propre pays. Nul n’est mieux placé pour y arriver que les chefs tribaux. Ils veulent prendre les choses en main et mettre fin aux souffrances, aux morts et aux destructions qu’ils subissent depuis des décennies et qu’ils continuent d’endurer.

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