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février 25, 2019

La corruption dans les Balkans : un frein à l’adhésion à l’UE

Alon Ben-Meir et Arbana Xharra

Les six pays des Balkans occidentaux – la Serbie, la Bosnie-Herzégovine, le Kosovo, la Macédoine, le Monténégro et l’Albanie – sont pris en otage par des politiciens corrompus associés au crime organisé. Une série de rapports internationaux en attestent. Ceux-ci soulèvent de grandes inquiétudes parmi les représentants de l’UE quant au processus d’élargissement de l’UE.

Ces pays doivent respecter des normes sociales et politiques ainsi que des normes relatives aux droits de l’Homme pour rejoindre l’UE. Il s’agit là de conditions essentielles. L’UE, en revanche, doute de plus en plus que les pays des Balkans puissent se conformer à ces normes, leur vie politique et sociale étant profondément émaillée par la corruption. Les efforts visant à éradiquer la corruption ne doivent toutefois pas s’arrêter là, car l’adhésion des Balkans à l’Europe sert les intérêts géostratégiques des deux parties.

Cornelia Abel, spécialiste de l’Europe du Sud-Est pour l’organisation non gouvernementale Transparency International, a déclaré avant la publication du dernier indice de corruption de l’ONG que le lien entre les politiciens et les entreprises ou le crime organisé « mettait en danger, voire, dans certains cas, suspendait dans une large mesure, l’État de droit et la séparation des pouvoirs ». La Haute Représentante pour la politique extérieure de l’Union européenne, Federica Mogherini, a fait pression sur plusieurs dirigeants afin qu’ils fassent davantage pour lutter contre la corruption, mais en vain.

Lavdim Hamidi, l’éditeur en chef du quotidien kosovar Zeri, qui a enquêté sur la corruption dans les Balkans, explique que « les États des Balkans se trouvent indubitablement en tête de la liste des pays les plus corrompus du monde ».

Il ressort de l’indice de perception de la corruption que la majorité des pays des Balkans ne progressent que peu, voire pas du tout, s’agissant de mettre fin à la corruption. Dans ces pays, les journalistes et les militants risquent leur vie chaque jour en s’efforçant de mettre au jour les dirigeants corrompus. L’indice classe 180 pays et territoires en fonction de leurs niveaux perçus de corruption politique, le premier pays étant le moins corrompu et le pays se classant à la 180e position étant le plus corrompu.

De tous les pays des Balkans, la Macédoine, qui se classe à la 107e position, est le plus corrompu. Il y a deux mois, l’ancien Premier ministre macédonien Nikola Gruevski a demandé l’asile en Hongrie à la suite d’un scandale d’écoutes téléphoniques pour lequel le tribunal l’a jugé coupable. Xhemal Ahmeti, expert des affaires politiques des Balkans, explique que la Macédoine et d’autres pays des Balkans ne sont pas différents du Nigeria ou d’autres pays où la corruption règne sous les masques des liens tribaux, familiaux, claniques et ethniques.

« Dans ces pays, les élites s’efforcent constamment de persuader leur public qu’ils ont été accusés de corruption à tort par les Occidentaux », ajoute Xhemal Ahmeti. En conséquence, les observateurs internationaux et de l’UE en Macédoine ne parviendront pas à combattre la corruption sans effectuer une surveillance active et directe sur le terrain.

Le Kosovo est le deuxième pays le plus corrompu dans les Balkans. Il se classe à la 85e position. Depuis sa déclaration d’indépendance en 2008, le Kosovo a donné à ses dirigeants politiques de nombreuses occasions de devenir extrêmement riches. « Quel que soit le lieu de leur service, ils semblaient tous gagner beaucoup plus que ce que leurs rémunérations indiquaient. Les hauts responsables du parti sont devenus si riches qu’ils ont pu se permettre d’engager des chauffeurs personnels et des gardes du corps sans en déclarer la source du financement », déclare Jeton Zulfaj, qui a passé les vingt dernières années au Kosovo à travailler sur des stratégies de lutte contre la corruption.

Au Kosovo, où le chômage a atteint un niveau alarmant (30 %), les figures politiques représentent la classe la plus riche du pays. Beaucoup de grandes entreprises se sont considérablement étendues grâce au soutien des politiciens, qui ont reçu des millions en échange de « leurs efforts ».

Selon l’indice de corruption, l’Albanie a chuté de la 83e place à la 91e place. Malgré quelques progrès en matière de lutte contre la petite corruption dans le secteur public, il reste encore beaucoup à faire dans ce pays, en particulier en ce qui concerne la corruption du système judiciaire. Le journaliste albanais Gjergj Erebaja dit que « le système judiciaire, procureurs et tribunaux compris, est sous l’influence extrême de l’élite politique. Les politiciens […] se servent du pouvoir illimité de l’État pour faire chanter les électeurs […] Les grandes entreprises privées constituent, dans une certaine mesure, une extension du système politique. »

La Bosnie-Herzégovine n’a fait aucun progrès dans la lutte contre la corruption ces dix dernières années. Elle se classe au même rang que l’Albanie. Dans ce pays, la corruption politique à tous les niveaux du gouvernement reste très préoccupante. L’ambassadeur britannique en Bosnie-Herzégovine, Matt Field, s’est récemment exprimé à ce sujet :

Le coût final de la corruption est plus difficile à totaliser, mais il comprend plusieurs millions de dépenses gouvernementales corrompues, de fonds volés et d’investissements étrangers manqués. Et ce coût [retombe] toujours sur les contribuables, les citoyens, qui ne bénéficient pas des services publics de qualité pour lesquels ils paient.

L’experte Cornelia Abel de Transparency International a désigné la Serbie comme exemple de « système politique capturé », en mentionnant l’influence excessive de son président, Aleksandar Vučić. « La Serbie […] est l’exemple par excellence d’une personne en position de pouvoir, influençant tout le monde », a-t-elle expliqué. La Serbie a perdu cinq places dans le classement de l’indice de perception de la corruption, passant de la 72e en 2016 à la 77e en 2017.

Le Portail anti-corruption pour les entreprises, soutenu par l’Union européenne, indique que « la corruption est problématique en Serbie et [que] sa prévalence est supérieure à la norme régionale. Les entreprises étrangères doivent être conscientes des conflits d’intérêts qui existent au sein des institutions étatiques serbes. Les marchés publics, l’extraction des ressources naturelles et l’appareil judiciaire sont particulièrement vulnérables à la fraude et aux détournements de fonds. »

Le Monténégro, lui aussi, n’a réalisé que peu de progrès, voire aucun, dans sa lutte contre la corruption. Il conserve sa 64e place au classement. Les experts de Transparency International disent que la soi-disant tentative de coup d’État n’a fait qu’« annihiler les efforts de lutte contre la corruption dans une certaine mesure ». On reproche souvent au Monténégro de ne pas en faire assez pour mettre un terme au crime organisé et à la corruption. Bruxelles demande d’ailleurs des résultats concrets dans la lutte contre la corruption au plus haut niveau politique comme condition première à l’adhésion de ce pays à l’UE.

La corruption politique endémique des États des Balkans constitue sans nul doute l’un des obstacles majeurs qui ralentissent nettement le processus de leur intégration à l’UE. Étant donné, toutefois, que les États des Balkans souhaitent ardemment rejoindre l’UE et que l’UE désire les attirer sur son orbite et les éloigner de la Turquie et de la Russie, ils doivent, de part et d’autre, prendre des mesures spécifiques pour résoudre le problème de la corruption.

L’UE se trouve en position de force pour user de son influence en offrant des investissements, des prêts et un accès au marché européen, contre lesquels ni la Russie ni la Turquie ne peuvent rivaliser efficacement – ces dernières ne s’arrêtent toutefois devant rien pour les intégrer dans leur sphère d’influence. En échange, les Balkans devraient être tenus d’introduire des réformes politiques, économiques et sociales.

L’UE devrait également insister sur une plus grande transparence et une obligation accrue de rendre des comptes, ce qui permettrait d’endiguer la corruption rampante des représentants élus. Pour ce faire, l’UE devrait de nouveau maintenir une présence assurant la justice et l’application des lois, non seulement au Kosovo (où elle a pris fin récemment au bout de dix années de présence), mais aussi dans tous les pays des Balkans qui souhaitent rejoindre les rangs de l’UE.

Les sociétés civiles des Balkans ont un rôle majeur à jouer en protestant et en organisant des rassemblements massifs, exigeant la fin de la corruption qui a infecté toutes les strates du gouvernement, y compris l’appareil judiciaire et les autorités chargées de l’application des lois. Si leurs gouvernements respectifs ne parviennent pas à prendre de mesures claires et décisives pour combattre la corruption, la population pourrait recourir à la désobéissance civile, ce qui pourrait provoquer des grèves, des débrayages organisés par les étudiants ainsi qu’un ralentissement de l’activité des fonctionnaires.

La lutte contre la corruption dans les Balkans est au centre des intérêts géostratégiques de l’UE ainsi que du bien-être futur des Balkans au sein de la communauté de l’UE. L’adhésion des Balkans à l’UE doit être considérée comme un mariage de nécessité qui renforcera radicalement leur sécurité collective tout en améliorant nettement la qualité de vie et le respect des droits de l’homme dans les Balkans.

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